JOHANNESBOURG, 7 mars 2013 (IRIN) - Malgré l'alerte précoce annonçant la grande sécheresse de 2011 dans la Corne de l'Afrique, les organisations humanitaires ont mis du temps à se mobiliser. Ce retard a fait des dizaines de milliers de morts dans la région et causé une famine dans certaines zones de Somalie.
Une équipe de recherche dirigée par Daniel Maxwell, expert en aide alimentaire et professeur au Centre international Feinstein (FIC) de l'université Tufts aux États-Unis, a rédigé un article intitulé Response Analysis and Response Choice in Food Security Crises: A Roadmap, décrivant les facteurs sous-jacents à la réponse des organisations d'aide humanitaire en cas de crise alimentaire. Publié cette semaine, l'article souligne la nécessité de réaliser des analyses fiables pour éclairer les décisions des organisations humanitaires et des dirigeants, afin non seulement de répondre à ces crises, mais également d'éviter qu'elles se reproduisent.
Toutefois, selon les auteurs - M. Maxwell, Heather Stobaugh et John Parker du FIC et Megan McGlinchy de Catholic Relief Services - « il existe peu de données factuelles démontrant ce qui fonctionne le mieux selon les circonstances ».
Analyse préventive
L'analyse des interventions devrait non seulement permettre de garantir que l'aide soit apportée à temps à ceux qui en ont besoin, mais elle devrait également aider à éviter l'insécurité alimentaire chronique et à rompre le cercle vicieux de la dépendance vis-à-vis de l'aide.
« L'analyse des interventions est appropriée et nécessaire, que l'on parle d'urgence extrême ou de programmes de résilience à plus long terme. La palette des possibilités peut être différente, mais les processus d'analyse sont similaires », a dit M. Maxwell à IRIN dans un courrier électronique.
« Une meilleure analyse des urgences telles que les sécheresses récurrentes et les crises alimentaires, que certains signes permettent souvent de prévoir jusqu'à neuf mois en avance, donnerait lieu à des programmes reposant sur une meilleure compréhension des risques et des causes sous-jacentes de vulnérabilité. Cela a été prouvé dans des cas de faim chronique dans des régions comme le Sahel », a dit Laura Taylor, responsable des stratégies d'intervention de l'organisation non gouvernementale (ONG) Tearfund.
C'est également l'avis de Graham Farmer, coordonnateur mondial du nouveau Groupe sectoriel Sécurité alimentaire, un mécanisme des Nations Unies ayant pour mission de coordonner les interventions des organisations humanitaires en matière d'aide alimentaire.
« L'analyse des interventions est un élément fondamental de la préparation et de la planification d'urgence [...] Une telle préparation nous permettra d'intervenir plus rapidement et de manière plus efficace et plus ciblée », a-t-il dit à IRIN par courrier électronique.
Selon les auteurs de l'étude, plusieurs types d'informations devraient être collectées avant une crise. Une étude de marché devrait notamment être réalisée et inclure le nombre et le type de commerçants de denrées alimentaires, l'historique des prix des produits de base, l'évolution de la production, la demande des consommateurs, l'accès aux marchés, la qualité des aliments, les politiques publiques, ainsi que les faiblesses et les goulots d'étranglement dans les chaînes d'approvisionnement en denrées alimentaires. Les organisations devraient également connaître les mécanismes d'adaptation habituels et le fonctionnement détaillé des foyers.
Toutes ces informations permettraient aux organisations de savoir quelle population cibler et quelle sorte d'intervention garantirait une meilleure résilience face aux chocs.
Décalage
Bien que d'importants efforts aient été déployés pour améliorer les évaluations, les auteurs de l'article estiment qu'un certain décalage demeure entre les informations fournies et celles qui seraient nécessaires pour la planification des interventions humanitaires.
Les évaluations donnent par exemple souvent un aperçu des besoins existants au moment où survient la crise alimentaire, alors que les besoins humanitaires changent au fil des saisons. Dans l'idéal, les évaluations devraient donc comprendre des prévisions pour l'avenir immédiat, afin de concevoir les programmes en conséquence.
L'étude a par ailleurs révélé que les analyses ne prennent pas souvent en compte les préférences des bénéficiaires. Lorsque c'est le cas, celles-ci sont généralement relevées pour justifier le mode d'intervention d'une organisation plutôt que pour orienter les prises de décision.
Les auteurs ont par ailleurs remarqué que les organisations humanitaires ne basaient pas leurs interventions uniquement sur les informations disponibles et leur analyse. D'autres facteurs entrent en compte, comme les capacités des organisations, l'expérience personnelle de leurs employés et les contraintes financières et politiques.
« Elles doivent donc souvent s'appuyer sur des suppositions - plutôt que sur des analyses - lorsqu'elles décident de leurs interventions d'urgence dans le domaine de la sécurité alimentaire. La nécessité d'un processus de prise de décisions fondé sur des données factuelles est donc plus urgente que jamais », ont dit les auteurs.
Dans la plupart des cas, ce sont les capacités des organisations qui déterminent leurs interventions. L'évaluation nutritionnelle effectuée par une organisation va ainsi se traduire par la mise en place de programmes nutritionnels. Cela peut donc conduire à des interventions trop focalisées dans des situations d'urgence complexes.
La coordination : un élément essentiel
Le rapport souligne que lorsque les organisations humanitaires analysent les interventions, elles doivent garder à l'esprit la façon dont leur travail va affecter le contexte humanitaire dans son ensemble. Elles doivent donc prendre en compte ce que font les autres organisations, les gouvernements et les communautés locales pour résoudre le problème de l'insécurité alimentaire.
Une organisation peut par exemple lancer un programme de subventions en se fondant sur une évaluation qui conclurait qu'un tel programme n'affecterait pas les marchés locaux. Mais si plusieurs organisations mettent sur pied des programmes similaires, les effets cumulés pourraient être préjudiciables.
Selon les auteurs, l'intervention dans la Corne de l'Afrique lors de la crise de 2011-2012 a donné lieu à un travail collaboratif, « mais dans la pratique, de telles approches restent une exception plutôt que la règle ».
Un mécanisme de coordination est nécessaire pour s'assurer que toutes les parties prenantes sont au courant des interventions menées et c'est d'ailleurs la mission du nouveau Groupe sectoriel Sécurité alimentaire.
« Ce que nous recommandons principalement, c'est que ce genre d'analyses soit effectué à l'échelle du groupe sectoriel, pour que les interventions suivent une stratégie générale », a dit M. Maxwell à IRIN.
La collaboration entre les organisations permet de mobiliser chacune en fonction de ses points forts, a dit M. Farmer. « L'approche par groupes sectoriels [...] devrait apporter un environnement sûr - dépourvu d'interférences dues à des facteurs extérieurs tels que les priorités des organisations - pour développer des analyses de données factuelles et des programmes [d'intervention] », a-t-il dit.
« Cela permet d'augmenter l'efficacité [des interventions] et, grâce aux efforts des partenaires nationaux du groupe sectoriel, d'augmenter les distributions et la redevabilité envers les populations touchées. »
Rassembler les programmes
Dans l'idéal, les programmes et interventions dans le domaine alimentaire et nutritif qui ciblent les sources de revenus devraient être intégrés, estime M. Maxwell.
Selon M. Farmer, la communauté humanitaire progresse dans cette direction. « Nous avons créé, à l'échelle mondiale, un groupe de travail rassemblant les groupes sectoriels de sécurité alimentaire et de nutrition en cherchant à éviter les redondances et à accroître la synergie. À l'échelle nationale, les bénéfices des collaborations entre groupes sectoriels sont clairement visibles. »
Selon M. Farmer, des discussions ont également été entamées au sein du Comité permanent interorganisations « concernant la modification de notre conception [...] de questions transversales comme le genre, l'âge, l'environnement, etc. Ce travail pourrait notamment nous aider à mieux cibler les bénéficiaires grâce à des évaluations poussées ».
Selon Mme Taylor, de Tearfund, ce qui serait déterminant, ce serait que « les bailleurs de fonds soient plus flexibles lorsqu'ils financent les budgets. Les programmes ne devraient pas être gravés dans le marbre. Ainsi, si une crise se développe dans le temps, les ONG pourraient adapter leurs interventions en fonction des dernières analyses réalisées dans la région touchée et éviter d'être coincées avec des budgets prédéterminés. »
jk/rz -ld/amz
[FIN]