DAKAR, 7 mars 2013 (IRIN) - L'expansion annuelle des programmes humanitaires pour régler les problèmes chroniques des Sahéliens les plus vulnérables montre clairement que les stratégies de développement ne fonctionnent pas. Le Sahel est dès lors au coeur des débats sur la nécessité de développer la résistance aux chocs des personnes vulnérables.
Les bailleurs de fonds commencent à modifier leur approche, notamment l'Office d'aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) et l'Agence américaine pour le développement international (USAID), qui sont les principaux donateurs humanitaires pour le Sahel. Les bailleurs de fonds pour le développement sont cependant à la traîne et, vu la lassitude des donateurs, les Sahéliens les plus vulnérables risquent de ne pas pouvoir bénéficier d'une aide d'urgence cette année, et encore moins de pouvoir renforcer leur résilience.
En date du 1er mars, l'appel de 1,66 milliard de dollars pour répondre aux besoins humanitaires et renforcer la résilience dans le Sahel en 2013 n'avait été financé qu'à hauteur de 5 pour cent.
« Les gens sont clairement distraits. Ils regardent ailleurs ou abordent la situation sous un angle sécuritaire », a dit Elise Ford, responsable de l'action au Sahel de l'organisation Oxfam. « Le défi est de respecter la rhétorique de la résilience. Comment considérer cet appel ? Malgré toutes les discussions que nous avons eues en 2012 au sujet de la résilience, les bailleurs de fonds n'ont pas fait grand-chose pour montrer comment ils comptent financer les efforts dans ce domaine. »
Des réunions portant sur la résilience dans le Sahel sont organisées un peu partout dans le monde - l'une d'elles a eu lieu à Rome la semaine dernière et une autre est en cours à Dakar -, « mais il semble y avoir un décalage : que se passe-t-il sur le terrain en ce moment ? » a ajouté Mme Ford.
Les agriculteurs qui souhaitent récolter cette année doivent obtenir de bonnes semences avant la fin du mois de mai. Ce n'est là qu'une question de survie : on est encore loin de la mise en oeuvre d'un plan d'action plus ambitieux sur le développement de la résilience. Selon une étude réalisée par le Programme alimentaire mondial (PAM) au Niger, il faut trois ans aux familles pour se remettre d'un choc lié à la sécurité alimentaire, et ce, à condition que les récoltes soient bonnes pendant trois années consécutives.
Les organisations ont besoin de plus d'argent, pas moins, pour renforcer la résilience dans le Sahel à partir de 2013, a souligné Jan Eijkenaar, conseiller régional en matière de résilience pour ECHO et coordonnateur d'AGIR (Alliance Globale pour l'Initiative Résilience) au Sahel. Mais au train où vont les choses, « nous n'aurons pas suffisamment de temps pour renforcer adéquatement la résilience cette année », a-t-il dit à IRIN, ajoutant qu'il faudra plusieurs décennies pour développer une véritable résilience à long terme.
Engagement politique
Cela dit, de nombreux bailleurs de fonds et gouvernements nationaux ont compris la nécessité de placer le développement de la résilience au coeur des programmes mis en oeuvre dans le Sahel. L'exemple le plus remarquable est probablement l'initiative intergouvernementale et inter-agences AGIR Sahel pour le renforcement de la résilience dans le Sahel. Il s'agit d'un partenariat impliquant toutes sortes d'acteurs, incluant la Commission européenne (qui est à l'origine de l'initiative), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILLS) et le Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO).
« La résilience est aujourd'hui une priorité à cause des lacunes en matière de développement et de gouvernance », a dit M. Eijkenaar. « Nous avons la possibilité de ne pas échouer au cours des vingt prochaines années. La déclaration commune d'AGIR nous donne les outils et la latitude pour y arriver. »
Au cours des dernières années, les bailleurs de fonds du monde entier ont promu le renforcement de la résilience à grande échelle. Selon le groupe de recherche français Urgence, Réhabilitation et Développement (URD), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Banque mondiale en font également la promotion depuis qu'elles ont pris conscience que l'impact de leurs investissements en matière de développement était insuffisant.
Un meilleur contrôle des dépenses d'aide
L'importance accordée à la résilience a évolué avec la crise financière américaine et européenne en toile de fond. La crise a entraîné un examen plus approfondi de la façon dont l'argent de l'aide est utilisé. La Facilité globale de réduction des effets des catastrophes et de relèvement (Global Facility for Disaster Reduction and Recovery, GFDRR) a analysé des portefeuilles de développement et découvert que certains d'entre eux avaient augmenté les risques et la pauvreté au lieu de renforcer la résilience. En outre, les participants aux quatrième Forum de haut niveau sur l'efficacité de l'aide, qui s'est tenu en 2011, se sont entendus sur une nouvelle approche fondée sur la résilience pour l'engagement dans les États fragiles.
Dans son état actuel toutefois, l'architecture de l'aide ne permet pas encore d'intégrer parfaitement la résilience. Si certains acteurs ont fait des progrès dans cette direction - on peut notamment penser aux plans d'action humanitaire communs (Common Humanitarian Action Plans, CHAP) des Nations Unies -, une planification beaucoup plus holistique est nécessaire.
Une planification plus intégrée
Il est plus facile de parler de planification holistique que de la mettre en oeuvre. Jusqu'à présent, c'est l'USAID qui est allée le plus loin dans ce domaine en mettant sur pied une cellule de planification conjointe (Joint Planification Cell, JPC) composée d'experts en matière d'agriculture, de changement climatique, d'alimentation, de santé et de sécurité alimentaire. Cette cellule travaille à l'élaboration de plans d'action communs afin de déterminer comment encourager le développement de stratégies d'adaptation pour les personnes les plus vulnérables, a dit Chris Tocco, directeur adjoint de l'USAID en Afrique de l'Ouest.
D'autres bailleurs de fonds, comme ECHO, utilisent des mécanismes de financement plus complexes, ce qui rend beaucoup plus difficile la création de cellules de planification intégrées oeuvrant au renforcement de la résilience. M. Eijkenaar, d'ECHO, reconnaît toutefois qu'il faut « répondre aux besoins sectoriels, institutionnels, culturels et nationaux persistants », comme il l'a déclaré à l'occasion d'une présentation sur l'initiative AGIR organisée en janvier 2013 et lors de laquelle il a encouragé les donateurs et les professionnels à éviter le cloisonnement.
François Grünewald, président du Groupe URD, fait un parallèle entre résilience et cuisine. « On pourrait comparer l'intégration [de plusieurs approches] à la cuisine thaïe (dans laquelle on peut distinguer les saveurs de chaque ingrédient) et la fusion [en une seule approche] à la cuisine chinoise (dans laquelle toutes les saveurs se combinent en une seule) », a-t-il écrit dans l'édition de février 2013 du magazine Humanitarian Aid on the Move.
Il déplore cependant la tendance des organisations d'aide humanitaire et des bailleurs de fonds à décrire toute activité comme « axée sur la résilience ». Le terme de résilience circule dans des cercles toujours plus larges et apparaît parfois dans des endroits inattendus. Par exemple, selon le Groupe URD, la sécurité intérieure américaine déclare, sur son site internet, que son principal objectif est la résilience plutôt que la sécurité.
L'intégration des programmes exige également que les acteurs humanitaires et du développement travaillent main dans la main, ce que l'architecture actuelle de l'aide rend difficile. « Il faudra du temps pour que ces différentes cultures finissent par se comprendre », a dit Sidi Mohammed Khattry, chef de mission pour le Premier ministre mauritanien, lors d'un atelier sur la résilience qui s'est tenu le 26 février à Dakar.
Différentes approches de la résilience
Malgré l'existence d'une définition commune de la résilience citée dans la déclaration de l'initiative AGIR (« la capacité des ménages, des familles et des systèmes vulnérables à faire face à l'incertitude et au risque de choc et à y répondre efficacement, ainsi qu'à récupérer et à s'adapter de manière durable »), les acteurs qui interviennent au Sahel ont des approches très différentes. Par exemple, ECHO considère la résilience sous l'angle de la malnutrition ; l'USAID est plus orientée vers la sécurité alimentaire; et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) s'intéresse davantage au développement et à la gouvernance à l'échelle systémique.
D'autres changements doivent également être mis en oeuvre pour que le renforcement de la résilience puisse fonctionner. Les acteurs du développement doivent notamment revoir leurs priorités et mettre de côté leurs objectifs macro-économiques pour venir en aide aux plus pauvres, qui comptent pour environ 20 pour cent de la population du Sahel. « Jusqu'à présent, les personnes extrêmement pauvres sont demeurées invisibles à leurs yeux », a dit à IRIN M. Eijkenaar. Selon lui, cela s'explique en partie par le fait que les projets de développement se limitent largement aux grandes villes, tandis que les opérations humanitaires ciblent les plus vulnérables, où qu'ils soient.
Interrogé au sujet de la nécessité de placer l'agriculture parmi les priorités, Peter Gubbels, spécialiste de l'Afrique de l'Ouest auprès du groupe de recherche Groundswell International, a dit à IRIN : « Il faut absolument faire la promotion d'une agriculture qui n'est pas seulement axée sur la productivité, mais qui est aussi multifonctionnelle et permet de répondre aux besoins des plus vulnérables qui vivent dans les zones les plus exposées aux risques, les zones écologiquement fragiles - et non pas dans les zones agricoles à fort potentiel. »
Par multifonctionnelle, M. Gubbels entend une agriculture qui met l'accent sur la productivité, l'adaptation au changement climatique, la durabilité et qui est axée sur l'alimentation.
Pour Mme Ford, d'Oxfam, il faut absolument trouver un équilibre entre les programmes privilégiant les approches ascendantes et descendantes. « Il est essentiel d'accorder la priorité aux personnes très vulnérables, mais il faut aussi améliorer la gouvernance afin de permettre la création de l'espace politique nécessaire pour venir en aide aux ménages vulnérables », a-t-elle dit.
Les acteurs de l'aide humanitaire et du développement doivent s'appuyer sur les travaux déjà réalisés, notamment par les experts du développement durable, de la réduction des risques de catastrophes et de l'adaptation au changement climatique qui planchent depuis des années sur le renforcement de la résilience. Le Cadre d'action de Hyogo pour 2005-2015 pour des nations et des collectivités résilientes face aux catastrophes est un bon début.
Même si cela peut sembler évident, les travailleurs humanitaires insistent sur le fait que les efforts de développement de la résilience doivent s'organiser autour des priorités et des atouts existants des communautés affectées. Selon une recherche réalisée par Oxfam qui n'a pas encore été publiée, les communautés mettent elles-mêmes l'accent sur la résilience et ont développé une multitude de stratégies pour faire face aux chocs. Elles espèrent que l'aide qu'elles recevront permettra de renforcer ces stratégies.
Les gouvernements nationaux ne doivent pas non plus être écartés. Les analystes estiment en effet que davantage de programmes et de fonds consacrés au développement de la résilience devraient être confiés à ceux qui ont la capacité de s'en charger.
Finalement, il est important de mesurer la résilience et de fixer, parallèlement aux efforts déployés, des critères de réussite permettant de déterminer ce qui viendra après les Objectifs du Millénaire pour le développement pour 2015. Une équipe d'AGIR travaille actuellement à l'élaboration de critères - qui pourraient inclure, entre autres, le taux de malnutrition, le taux de mortalité des enfants de moins de deux ans, l'insécurité alimentaire, le fardeau de l'aide humanitaire, la proportion de la population la moins résiliente, le pouvoir d'achat, le coût de l'alimentation et les scores de diversité alimentaire, a dit M. Eijkenaar. Selon les analystes, le Cadre d'action de Hyogo est un bon outil pour des références à plus grande échelle.
L'argent
La répartition du financement pour le développement de la résilience dans le Sahel n'est pas claire pour l'instant. En 2012, la direction générale de la Commission européenne pour le développement et la coopération (DEVCO) a mobilisé 164,5 millions d'euros pour la crise au Sahel. Une partie de cet argent sera utilisée pour améliorer la résilience cette année et l'an prochain, a dit M. Eijkenaar. ECHO a déjà fait une place à la résilience dans son approche de l'aide, dit-il. L'organisation a notamment adapté et intégré ses interventions aux programmes nationaux et tente de pratiquer un ciblage rigoureux en fonction de la vulnérabilité des populations.
L'USAID annoncera bientôt les fonds qu'elle compte consacrer aux programmes de développement de la résilience ; le Département britannique pour le développement international (DFID) n'a pas été en mesure de fournir aux journalistes d'IRIN des chiffres précis à l'échelle mondiale ; et l'initiative AGIR Sahel n'a pas encore fourni de montants détaillés même si elle a promis de mettre en place un nouveau mécanisme de financement.
La Banque mondiale a refusé d'accorder une interview aux journalistes d'IRIN.
Selon Mme Ford, il faudra au moins autant d'argent que l'an dernier pour renforcer la résilience et faire face aux conséquences de la crise dans le Sahel. « C'est encore une année de crise [...] les plus pauvres n'ont pas récupéré d'un coup grâce aux bonnes récoltes de cette année. [...] L'extrême pauvreté n'est pas un piège auquel vous pouvez échapper en l'espace d'une année », a dit Cyprien Fabre, chef du bureau régional d'ECHO en Afrique de l'Ouest.
La répartition des fonds est cependant plus importante que la somme allouée. En effet, la résilience pourrait coûter moins cher à long terme si les sommes d'argent qui y sont consacrées sont bien utilisées. Selon les résultats des recherches réalisées par le DFID en Éthiopie et au Kenya, il en coûterait 64 pour cent de moins pour prévenir les crises que pour y répondre. « Atténuer l'impact des catastrophes naturelles permettrait d'économiser de l'argent, de sauver des vies et de protéger les moyens de subsistance, en particulier pour les pauvres », a dit le porte-parole du DFID John Levitt.
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