Près de 200 000 Maliens ont fui les violences qui secouent les régions du nord depuis le début de l’année 2012. CARE Mali a rencontré des personnes originaires de Tombouctou ayant trouvé refuge à Bamako. Récit par Adel Sarkozi, chargée de mission pour CARE Mali.
Fuir Tombouctou, où règnent la violence et le chaos, où les magasins sont vides, les écoles et les centres de santé fermés.
Une maison à deux étages dans une banlieue de Bamako, la capitale du Mali. Comme de nombreux bâtiments abandonnés dans le quartier, les occupants ont fui Tombouctou durant les derniers mois.
Beaucoup de femmes et leurs enfants, parfois même des enfants, des adolescents séparés du reste de leur famille ont été contraints de fuir la région de Tombouctou, où règnent la violence et le chaos, où les rues sont incertaines, les magasins vides, les écoles et les centres de santé fermés depuis avril 2012.
Leurs histoires se ressemblent. Les récits sont ponctués de mots comme « peur », « nécessité de fuir », « sur la route pendant plusieurs jours », « nous n’avons rien pu prendre avec nous », « laissé mon mari », «notre vie a basculé ».
Ils sont 40 à vivre dans deux pièces.
Le récit de Komjo, une grand-mère de 60 ans, illustre et résume bien toutes ces vies brisées. « J’ai dû laisser derrière moi tout ce qu’il y avait de bien dans ma vie. Je vis de souvenirs, ceux datant d’avant la guerre » explique-t-elle.
Elle est assise sur le sol, entourée de femmes plus jeunes et de leurs enfants, des proches ou des voisins de Tombouctou. Ils sont près de 40 à vivre dans cette maison où ils ont rejoint des parents ou des personnes généreuses de leur connaissance. La nuit, ils s’entassent dans deux pièces quasiment vides et sur un balcon.
Comme chaque matin depuis qu’elle a fui Bamako il y a six mois, Komjo est penchée sur un grand plat rempli de petits coquillages. « Elle lit l’avenir », explique Haussa, une jeune femme d’une trentaine d’années assise à sa droite.
« Et que disent les coquillages aujourd’hui ? »
Je m’attends à ce qu’elle me parle de son futur, de celui de Tombouctou – libérée la veille – ou celui du Mali, mais elle commence à évoquer mon avenir. Et à la façon dont elle arrive à deviner mon passé, je ne peux m’empêcher de penser que ses prévisions pourraient bien se réaliser.
Quand je l’interroge à propos de Tombouctou, elle déclare : « Dieu seul sait… nous ne pouvons être sûrs de rien. »
Elle secoue les coquillages durant quelques secondes et ajoute : « Mais je rentrerais immédiatement si seulement je le pouvais ». Pour la première fois, je remarque l’ombre d’un sourire sur son visage marqué par le temps et dissimulé derrière un voile clair.
« Nous rentrerons dès que la paix sera totalement revenue », poursuit Haussa.
Des familles déchirées, bouleversées par les récents évènements et promises à un futur incertain.
Haussa est arrivée à Bamako le 10 janvier dernier, après un voyage de 4 jours qu’elle a effectué principalement en bateau. L’histoire de sa famille au cours des sept derniers mois est complexe, marquée par des décisions douloureuses.
En mai dernier, Haussa et son mari ont décidé d’envoyer leurs premiers trois enfants, âgés de 7 à 12 ans, chez des proches à Bamako. Ils étaient inquiets pour leur sécurité depuis l’éclatement des violences à Tombouctou en avril 2012. « A Tombouctou, pratiquement tout est fermé depuis cette époque : la plupart des écoles et des cliniques. Le manque d’électricité et le reste…tout était très dur pour les enfants », m’explique-t-elle.
Seul leur plus jeune fils, Abdul, un enfant joueur de deux ans, est resté avec eux. Il y a quelques semaines, son mari, craignant le pire, a insisté pour qu’elle et Abdul quittent Tombouctou. Haussa a donc entamé un périple de quatre jours. Son mari est resté là-bas par crainte de voir leur maison vandalisée.
« Abdul a trouvé le voyage difficile », explique-t-elle. « Il pleurait souvent de fatigue et me demandait de nous arrêter. »
Elle le prend sur ses genoux, alors qu’Abdamane, l’ainé, nous rejoint. Quand on lui demande ce qui lui manque de sa vie à Tombouctou, Abdamane répond timidement : « Tout… mon école, mes amis… et mon père surtout. »
Sa situation n’est malheureusement pas isolée. C’est le cas de nombreuses familles déchirées, bouleversées par les récents évènements et promises à un futur incertain.
« Beaucoup de choses ont été détruites à Tombouctou, cela va être dur mais nous voulons rentrer… dès que nous le pourrons.»
Salif, un enfant intelligent et vif, a également trouvé refuge dans cette maison avec deux de ses jeunes frères. En dernière année de lycée, il trouve l’école importante et veut devenir ingénieur agricole. L’an dernier, il a été déscolarisé pendant cinq mois avant de fuir Tombouctou.
Je me retourne vers Komjo qui contemple toujours ses coquillages. « D’autres informations ? »
Elle fait une pause, les yeux toujours rivés sur les coquillages. « Ici la vie est difficile. Tout est cher. Nous vivons au jour le jour… Nous devons mettre de l’argent de côté, faire avec le peu de ressources que nous avons… L’annonce de la libération de Tombouctou nous a remplis de joie… C’était incroyable… Beaucoup de choses ont été détruites, cela va être dur mais nous voulons rentrer… dès que nous le pourrons », conclut-elle.
A NOTER : CARE Mali s’apprête à relancer ses activités à Tombouctou. CARE et ses partenaires locaux vont distribuer 18 794 tonnes de nourriture à 131 587 personnes dans les six prochains mois.
CARE Mali a déjà distribué de la nourriture et d’autres biens essentiels à Ségou et a Mopti, deux des cinq régions les plus affectées par le conflit. Alors que les populations subissent encore les effets de la crise alimentaire qui a touché le Sahel l’an dernier, l’objectif de CARE est de porter assistance à 22 000 personnes, déplacées ou appartenant à la communauté d’accueil de Ségou et de Mopti.
CONTACT MEDIAS: Laury-Anne Bellessa 01 53 19 89 92 bellessa@carefrance.org
CARE travaille au Mali depuis 1975. L’équipe de CARE Mali est disponible pour tout commentaire.