01/16/2013 17:08
PARIS, 16 jan 2013 (AFP) - Haïdara Cissé, députée de Bourem, commune à 45 km de la grande ville de Gao dans le nord du Mali, est présidente du réseau parlementaire malien Femme, Développement et Protection de l'enfance.
En visite à Paris, elle témoigne de la situation dans le nord du pays.
Q: Où en est la situation dans les grandes villes du nord, que l'on dit évacuées par les groupes islamistes ?
R: Les populations sont soulagées. J'ai parlé à une jeune fille au téléphone, elle m'a dit "j'avais un pantalon, je l'ai mis et je l'ai coupé au niveau des genoux, j'ai lâché mes cheveux", et elle s'est mise à pleurer.
Mais les villes ne sont pas libérées. La majorité des jihadistes sont partis après les raids de dimanche de l'armée française sur Gao mais quelques uns sont encore en ville. Il y a encore à Gao et Bourem, des gens du Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest). Ils sont très discrets mais il ne faut pas les sous-estimer, ces gens là sont dangereux. J'ai peur qu'ils utilisent les populations comme boucliers humains.
Q: Des ONG redoutent des représailles à l'encontre notamment des populations touareg ou de "collaborateurs"? Partagez-vous ces craintes ?
R: Les Touareg ont peur des représailles, à juste titre. Nous, les élus du Nord, nous n'appellerons jamais à la vengeance. Mais le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad, rébellion touareg) a été l'élément déclencheur de cette situation. Ils sont allés chercher les jihadistes, et ils ont aussi commis beaucoup d'exactions quand ils ont occupé Gao. Pour nous, Aqmi, le Mujao, Ansar Dine, MNLA, c'est bonnet blanc et blanc bonnet.
Le sentiment anti-touareg s'est généralisé maintenant à Gao, Tombouctou. Certains veulent se venger. Nous, les élus, nous expliquons aux gens que s'ils se vengent, les Touareg vont encore se présenter comme des victimes, dire qu'on veut les exterminer. Après, on règlera nos comptes. Ceux qui ont fait des exactions, on les jugera. On n'est pas dans la logique des milices qui veulent se venger, mais on ira à la CPI si on ne peut pas les juger nous-mêmes.
Il y a aussi les habitants qui ont collaboré, il ne faut pas se voiler la face, les jihadistes avaient de l'argent, l'argent des otages, et les gens devaient bien gagner leur vie pendant ces neuf mois d'occupation. Mais les gens feront la différence entre ceux qui ont été obligés de collaborer et les autres...
Q: Peut-on espérer une normalisation rapide, au moins dans les grandes villes ?
R: Actuellement, il y a une urgence humanitaire. Nous craignons une catastrophe, les bombardements ont détruit les dépôts de carburant, donc il n'y aura bientôt plus d'électricité, plus d'eau potable... J'ai reçu plein de SOS de Gao, de Tombouctou, les gens ont peur de manquer de vivres.
Je demande aux ONG de faire le maximum. Il faut des avions cargo de vivres, pas seulement de véhicules militaires !
(Propos recueillis par Anne LE COZ)
alc/cf/aub