GAO/BAMAKO, 27 novembre 2013 (IRIN) - Si la sécurité dans certaines villes du nord du Mali s'est améliorée, la persistance des attaques sporadiques par des groupes extrémistes à Tombouctou et Gao, ainsi que des combats entre des groupes séparatistes touaregs et les forces maliennes dans la région de Kidal, continue de freiner les opérations d'aide et d'empêcher les réfugiés de rentrer chez eux.
Les attaques les plus récentes ont eu lieu le 21 novembre, lorsque trois roquettes ont été tirées par des extrémistes vers la ville de Gao à 10km et le 20 novembre, dans la région de Kidal, lorsque trois soldats français ont été blessés par l'explosion d'une mine tout près de la ville de Kidal.
Dans cette région, l'insécurité est extrême dans le massif de l'Adrar des Ifoghas, au nord-est du pays, et autour de la ville de Tessalit. Dans la région de Gao, c'est dans les villes de Menaka et d'Ansongo, près de la frontière avec le Niger, que l'insécurité sévit le plus, selon David Gressly, Représentant spécial adjoint de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).
L'insécurité qui règne dans ces régions a entravé l'acheminement de l'aide humanitaire, a déclaré Fernando Arroyo, chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) au Mali (qui dispose de bureaux à Gao et Tombouctou, mais pas à Kidal). « En ce moment, très peu d'organisations ont accès au nord de Kidal, » a-t-il dit.
Difficultés d'accès
Les évaluations visant à déterminer les besoins humanitaires sont également limitées à Kidal, d'après les employés des organisations humanitaires. Ils soulignent que l'évaluation d'UNICEF sur la nutrition datant du mois de mai, par exemple, couvre seulement Gao, mais pas Tombouctou, ni Kidal en raison de l'insécurité qui y règne. L'insécurité ralentit aussi les opérations, puisque les agences des Nations Unies attendent que les troupes de la MINUSMA sécurisent ou patrouillent ces zones avant de pouvoir s'y rendre.
Cependant, certaines organisations affirment qu'elles continuent à travailler sans encombre dans les zones dangereuses du Nord. Attaher Maiga, qui travaille pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Gao, a déclaré que le CICR avait toujours accès à l'ensemble des 11 « cercles », ou districts, de la région. « Il n'y a pas de zones auxquelles nous n'avons pas accès », a-t-il déclaré à IRIN.
Le CICR est notamment présent à l'hôpital de la ville de Kidal et dans les centres de soins de la région.
Yssoufou Salah, chef de mission pour Médecins sans frontières (MSF) dans le nord du Mali, a déclaré : « Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de zones dans lesquelles nous n'avons pas pu nous rendre. »
L'organisation MSF est surtout active à l'hôpital régional de Tombouctou et a récemment ouvert une clinique près de la frontière avec la Mauritanie. Elle se déplace aussi dans la région de Tombouctou, dans la commune de Goundam, et autour de Gao. « Notre plus grande inquiétude, ce sont les bombes artisanales sur la route. Nous devons être très prudents et consulter systématiquement les Maliens et la MINUSMA avant de partir en mission, » a-t-il confié à IRIN.
La dernière attaque à Tombouctou remonte à septembre : au volant d'un camion chargé d'explosifs, quatre kamikazes se sont fait exploser devant un camp militaire malien. Deux civils et six soldats ont été tués.
Moulaye Sangaré, un médecin de l'hôpital régional de la ville de Gao, s'inquiète du fait que dans les zones rurales, certaines populations vulnérables ne bénéficient pas de l'aide humanitaire, car de nombreuses familles sont effrayées à l'idée de quitter leurs maisons. « J'ai bien peur qu'un grand nombre d'enfants mal nourris ne puissent être soignés simplement parce que leurs mères ne peuvent pas les emmener à l'hôpital, » a-t-il dit.
Certains habitants ont exprimé leur colère au sujet des carences en termes de sécurité dans les zones rurales et les villages, où selon eux, les membres et les anciens membres des groupes extrémistes restent cachés.
« Nous savons que ces gens sont là. Pour nous sentir en sécurité, l'armée doit contrôler les déplacements à l'intérieur et à l'extérieur de la ville », a déclaré Ousmane Maiga, un membre d'une coalition de jeunes à Gao. « Le gouvernement a déjà accepté de négocier avec les rebelles. Le problème est le suivant : ils ne savent pas qui se cache derrière le MNLA [Mouvement national de libération de l'Azawad], le MUJAO [Mouvement pour l'unité et le Jihad en Afrique de l'Ouest] ou AQMI [al-Qaïda au Maghreb islamique]. En revanche, nous oui. Lorsque les négociations viendront à démarrer, nous souhaiterions y participer, » a-t-il déclaré.
La journaliste radio Amy Idrissi a dit à IRIN que les habitants de la ville de Gao se sont habitués aux attaques incessantes. « Les rebelles ont quitté Gao et se cachent dans le bush non loin d'ici, peut-être même dans le village suivant ou de l'autre côté de la rivière. Ils ont essayé de revenir dans la ville depuis qu'elle a été libérée », a-t-elle dit.
Soumeila Koné, chauffeur de bus à GAO, a avoué que travailler dans cette zone était source de stress pour lui, mais il n'a guère le choix. Selon lui, « le Nord est un no man's land violent où rôdent les bandits et les groupes armés ».
Luttes de pouvoir à Kidal
À Kidal, le renforcement de la sécurité qui avait été annoncé en juin 2013 dans un accord signé par le gouvernement malien, le MNLA et le Mouvement arabe de l'Azawad (MAA) ne s'est pas concrétisé.
Au vu des attaques répétées, l'incertitude règne quant à la question de savoir qui est responsable ; les troupes françaises, les forces de la MINUSMA et les rebelles touaregs contrôlent tous des secteurs différents de la ville de Gao. Pourtant, d'après Arbacane Ag Abzayack, le maire de Kidal, « il est évident que ce sont les rebelles touaregs qui contrôlent Kidal. »
À Kidal, les troupes françaises de l'opération Serval se concentrent sur les interventions anti-jihadistes, tandis que la MINUSMA et les troupes maliennes sont chargées de sécuriser la ville. Malgré ces efforts, deux tiers des habitants d'âge adulte portent une arme à feu pour se protéger, a confié à IRIN M. Ag Abzayack de Bamako, où il se rendait. « Parce qu'il n'y a pas de gouvernement, tout le monde n'en fait qu'à sa guise. »
Les soldats maliens n'ont été autorisés à revenir à Kidal qu'au mois de juillet, en raison des craintes d'affrontements qui les opposeraient aux groupes rebelles touaregs. Depuis, ils « n'ont pas beaucoup quitté le camp », a confié le maire.
Plus tôt ce mois-ci, le MNLA, le MAA et le Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA) se sont réunis pour présenter un front uni dans les pourparlers avec les autorités de Bamako, qui doivent commencer ce mois-ci.
Au début du mois de novembre, quand la coalition MNLA/MAA/HCUA a remis les clés des bâtiments administratifs à la MINUSMA en vue de leur remplacement par le gouvernement malien, les femmes et les jeunes se sont rassemblés devant le bureau du gouverneur et ont protesté en soutien aux rebelles.
« Jusqu'à présent, les représentants du gouvernement ne sont pas revenus et personne ne sait qui dirige », a-t-il dit.
Manque de soldats
Alors que les soldats de l'opération française Serval, de l'armée malienne et de la MINUSMA sont tous présents dans le Nord, leur nombre ne suffit pas à sécuriser ce vaste territoire, selon les experts.
Parmi les 2 000 soldats français qui se trouvent toujours au Mali, près de 1 800 sont déployés dans le Nord (la plupart à Gao, et le reste à Tombouctou, à Kidal et à Tessalit).
Après l'assassinat de deux journalistes radio français au début du mois de novembre, revendiqué par AQMI, la France a renforcé sa présence militaire à Kidal et le nombre de soldats est passé à 350, selon son porte-parole, Hubert de Quievrecourt. Cependant, une réduction des troupes à un millier de soldats est toujours prévue après les élections législatives.
Ce processus était censé coïncider avec le renforcement des forces de la MINUSMA et l'envoi de 12 600 soldats ; mais, jusqu'à présent, seulement 5 162 membres du personnel de la MINUSMA sont au Mali.
Les raisons de cette faible présence sont variées : le retrait des forces du Niger qui se heurte à une crise de sécurité interne, l'engagement réduit du Tchad suite aux lourdes pertes de soldats dans les combats au nord, et l'escalade de la violence dans le pays voisin, la République centrafricaine.
Quelque 2 675 soldats de la MINUSMA sont à Gao, Tessalit, Aguelhok, Kida, Ménaka et Ansongo ; 1 823 sont placés pour garantir la sécurité de Tombouctou, Goss, Douentza, Sévaré, Goundam et Diabaly ; et 664 servent en tant que militaires ou policiers à Kidal.
Un nombre croissant de militaires et de policiers est attendu prochainement en provenance du Bangladesh, du Burkina Faso, du Cambodge, de la Chine, des Pays-Bas et du Rwanda, selon M. Quievrecourt.
Dans ce contexte de capacité insuffisante, l'armée malienne renforce progressivement sa présence, tandis que les formateurs de l'Union européenne tentent de préparer les troupes. Jusqu'à présent, l'armée a renforcé les points de contrôle et les patrouilles autour des villes de Tombouctou et de Gao. Elle a également intensifié sa présence près de la frontière mauritanienne et dans le cercle de Gourma Rharous, à la frontière avec le Niger, où la présence rebelle s'est prolongée pendant plusieurs mois après la libération du Nord, a déclaré le colonel-major Abdoulaye Coulibaly, responsable de l'armée au Nord.
L'armée poursuit sa lutte contre les cellules dormantes dans les petites villes et les zones rurales, a déclaré M. Coulibaly. À son avis, les bombardements de Tombouctou et les attaques à la roquette de Gao « ont bénéficié de l'aide de personnes à l'intérieur et autour de Gao. Ils sont les maris, les fils et les frères des citoyens de Gao et de Tombouctou, et c'est pourquoi nous demandons à la population de nous aider à traquer ces criminels ».
Il a ajouté : « Ma principale préoccupation n'est pas le nombre de troupes de maintien de la paix sur le terrain, mais l'endroit où elles sont déployées. »
Même si certaines personnes déplacées à l'intérieur du territoire reviennent de leur plein gré, il y a peu de chances que parmi les 140 000 réfugiés maliens dans les pays voisins, certains soient susceptibles de revenir, à moins que la sécurité soit renforcée, a déclaré M. Coulibaly.
Parmi les habitants de Tombouctou réfugiés dans le camp mauritanien de Mbera, la méfiance s'est généralisée. Rares sont ceux qui ont l'intention de revenir. Mohammed Ag Adnan, un Touareg de Tombouctou, a confié à IRIN qu'il ne faisait pas confiance aux militaires en place. « Dans le Nord, si vous avez la peau claire [si vous êtes touareg ou arabe], vous risquez de vous faire attaquer, » a-t-il déclaré.
La question des retours est délicate, a déclaré M. Coulibaly : « Les retours [des personnes déplacées et des réfugiés], ainsi que la réouverture des cliniques, des écoles et des institutions gouvernementales sont importants pour renforcer la sécurité et empêcher les terroristes de reprendre le contrôle de certaines zones. »
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