Il est urgent de s’attaquer aux abus et à la corruption marquant la récente crise
(Nairobi, le 3 septembre 2013) – Le nouveau gouvernement du Mali devrait prendre des mesures concrètes pour renforcer la primauté du droit, poursuivre en justice les auteurs d’atteintes aux droits humains et pour lutter contre la corruption endémique, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans un courrier adressé au président élu Ibrahim Boubacar Keita.
Le nouveau président, qui prêtera serment le 4 septembre 2013, hérite de nombreux défis, notamment culture de l’impunité, pratique des pots-de-vin par les fonctionnaires, indiscipline au sein des forces de sécurité, tensions ethniques et pauvreté accablante, a indiqué Human Rights Watch.
« Après une période profondément troublée, le Mali se trouve à la croisée des chemins », a expliqué Corinne Dufka, chercheuse senior pour la division Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Les actions – ou les inactions – du président Keita pourraient conduire à un plus grand respect des droits humains ou à une résurgence des problèmes qui ont provoqué le quasi-effondrement du Mali l’an passé. »
Ibrahim Boubacar Keita a remporté l’élection présidentielle du Mali le 11 août dernier avec 78 pour cent des voix. L’élection a eu lieu après une période tumultueuse qui a démarré avec la rébellion en janvier 2012 des séparatistes touaregs. La rébellion a vite été détournée par les groupes islamistes armés qui ont rapidement consolidé leur emprise sur le nord du Mali. La réponse du gouvernement a été paralysée par un coup d’État militaire en mars 2012 et par des mois d’agitation dans la capitale, Bamako. La France a mené une offensive en janvier 2013 qui a permis de reprendre le contrôle du nord pour le compte du gouvernement malien.
La récente crise malienne trouve ses racines dans des années de détérioration des principales institutions en charge de veiller au respect de la primauté du droit, notamment le système judiciaire manquant cruellement de ressources, et l’indifférence face aux scandales de corruption a favorisé le développement d’une dangereuse culture de l’impunité, a expliqué Human Rights Watch.
L’occupation islamiste dans le nord et le chaos dans le sud se sont accompagnés d’une dégradation sévère du respect des droits humains, et les Maliens ont souffert de graves abus de la part de tous les camps. Les groupes islamistes ont tenté de faire appliquer la Charia au moyen de passages à tabac, d’amputations, de meurtres et de la destruction de monuments religieux. Les rebelles séparatistes touaregs se sont livrés à des abus sexuels et des pillages avant de quitter la zone qu’ils contrôlaient auparavant. Des éléments de l’armée malienne ont torturé et exécuté sommairement des collaborateurs rebelles présumés et des membres d’unités militaires rivales.
Human Rights Watch a vivement encouragé M. Keita à inverser la tendance et à s’attaquer de front aux dynamiques qui ont conduit le Mali au bord de l’effondrement. Human Rights Watch l’a appelé à adopter une politique de tolérance zéro face aux abus commis par les forces de sécurité et à la corruption pratiquée par les fonctionnaires, à lutter contre la culture de l’impunité en renforçant le système judiciaire et en veillant à ce que les auteurs d’abus en temps de guerre soient poursuivis, à établir un mécanisme de recherche de la vérité représentatif et à prendre des mesures concrètes pour mettre un terme à la corruption.
« Les Maliens ont considérablement souffert de la négligence chronique de l’État et du récent conflit armé », a précisé Corinne Dufka. « Le président Keita devrait sans tarder mettre le Mali sur la voie d’une meilleure gouvernance, plus respectueuse des droits. Ainsi, cela entretiendrait de manière significative la dynamique créée par l’élection et mettrait à profit l’engagement considérable des partenaires internationaux du Mali. »