Les chocs récurrents liés au climat dans la région Ouest-Africaine du Sahel ont des impacts conséquents sur les populations vulnérables. De plus en plus, ceux qui n’ont pas les capacités de se nourrir ou de nourrir leurs familles n’ont d’autre option que de quitter leurs villages, en ayant recours à de nouvelles formes de migration auxquelles sont associés d’important risques en matière de protection. De nouvelles initiatives de résilience lancées par des organismes régionaux, les Nations Unies, et les bailleurs de fonds pourraient s’attaquer aux causes profondes de la vulnérabilité de ces populations. Cependant, un manque de cohérence et de coordination menace considérablement l’efficacité de ces initiatives. Leur mise en œuvre en étant encore à son stade initial, il est encore temps de remédier à ces déficiences avant que ne soient pris des engagements significatifs en temps et en ressources.
Contexte
Le Sahel est un ruban semi-aride de terres et d’arbustes qui borde le désert du Sahara. On y trouve un grand nombre de pays figurant parmi les plus pauvres du monde, et les taux de malnutrition dépassent fréquemment le palier d’urgence de 15 pourcent dans de nombreuses régions. Au Burkina Faso, au Niger, au Mali et au Tchad, presque la moitié des enfants âgés de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique. La fragilité écologique de l’environnement Sahélien contribue à renforcer l’insécurité alimentaire de sa population, dont 80 pourcent dépend de ressources naturelles pour sa subsistance. La croissance démographique explosive se traduit par un doublement de la population de 100 millions d’individus au Sahel en 25 ans. En outre, les pays Sahéliens traversent fréquemment des périodes de troubles politiques, l’insurrection séparatiste et le coup d’état au Mali en étant l’exemple le plus récent. Par ailleurs, les routes de commerce historiques qui sillonnent la région se sont révélées très vulnérables aux réseaux terroristes et criminels qui posent des risques sécuritaires régionaux et mondiaux.
Bien que la région du Sahel soit exposée aux sécheresses, des changements marqués dans le régime des pluies ont émergé au cours de la dernière décennie. Les pluies sont devenues plus irrégulières en quantité et en étendue géographique, et moins prévisibles dans le temps, donnant lieu à des sécheresses et à des mauvaises récoltes plus fréquentes. Ces changements, à leur tour, ont des effets considérables sur les éleveurs de bétail (communautés pastorales) et les agriculteurs qui dépendent de leurs cultures pour nourrir leurs animaux (communautés agropastorales), étant donnée leur dépendance à l’égard des pluies pour assurer leurs moyens de subsistance. Cela est d’autant plus vrai pour les communautés agropastorales, pour lesquelles une prévision précise du moment de l’arrivée, de la localisation, et de la quantité de pluie est cruciale pour l’ensemencement.
En 2012, de faibles pluies combinées à des prix élevés des denrées alimentaires à travers le Sahel ont provoqué une crise alimentaire – la troisième en sept ans – qui a privé 18 millions de personnes de nourriture suffisante et a risqué de faire mourir de faim un million d’enfants. Parallèlement, les phénomènes d’inondation sont devenus plus sévères. En 2012, de graves inondations au Niger et au Tchad ont déplacé plus d’un million de personnes tandis qu’au nord du Nigéria, des inondations ont déplacé plus de 6 millions de personnes. De nombreux experts en climatologie ont attribué ces changements dans le régime des pluies au changement climatique, et il y a un fort consensus sur le fait que dans les décennies à venir, le changement climatique aura pour conséquence un climat plus imprévisible accompagné d’une augmentation de la température allant de 2,5 à 3,5ᵒ Celsius avant 2050. En Juin 2013, Refugees International (RI) s’est rendu dans deux des pays les plus pauvres du Sahel, le Burkina Faso et le Niger, et a rencontré des communautés pastorales et agropastorales vulnérables.
Chacune d’entre elles était pleinement consciente des changements anormaux et néfastes de la température et de la pluviosité, qui compromettaient de manière directe leur capacité à nourrir leurs familles. Village après village, le refrain était le même : “Les pluies ne sont plus prévisibles.” “Elles viennent trop tôt et finissent ensuite trop tard.” “Il y a trop de pluie, ou pas assez.” Dans un village dans la région du Centre Nord du Burkina, les villageois ont expliqué qu’en 2012, il n’y avait pas assez de pluie. Ensuite, en 2011, des précipitations soudaines sont arrivées plus tôt que prévu, causant des inondations massives qui ont détruit des maisons et des écoles – une expérience que personne n’avait jamais vécue avant là-bas. Mais par la suite, les pluies ont largement diminué et les récoltes étaient mauvaises.
Ces chocs répétés ont précipité les ménages les plus démunis dans une spirale descendante, car ils n’ont pas suffisamment de temps pour se relever avant que la prochaine crise ne frappe. Durant une mauvaise année, ils sont contraints à avoir recours à des mécanismes d’adaptation négatifs, tels que de se nourrir moins, de vendre leurs actifs de production qui sont en nombre limité (par exemple leur bétail), et de s’endetter, augmentant d’autant plus leur vulnérabilité et affaiblissant leur capacité à résister à des chocs futurs. Un homme dans le village mentionné précédemment, qui a été contraint de vendre son bétail durant la crise alimentaire de 2012 afin d’acheter de la nourriture pour sa famille, a expliqué que cela lui prendrait au moins un an pour économiser suffisamment d’argent pour acheter une seule vache. Une analyse récente des tendances relatives à la sécurité alimentaire conduite par le Programme Alimentaire Mondial (PAM) au Niger a conclu que deux ans après les mauvaises récoltes de 2009, les ménages pauvres du Niger ne s’étaient toujours pas relevés, en dépit de récoltes meilleures que la moyenne en 2010. Pire encore, dans un tiers environ des communes, les niveaux de résilience (mesurés selon le degré auquel les ménages ont eu recours à des stratégies d’adaptation négatives telles que de se nourrir moins, d’emprunter, et de vendre des actifs) étaient encore plus bas en 2010 qu’en 2009. En un mot, cela prend plus d’un an aux ménages les plus pauvres pour se relever d’une sécheresse ou d’une autre crise, et les effets négatifs d’une seule crise peuvent continuer de les affecter au-delà d’une seule saison de culture.
La variabilité accrue du climat, combinée à des facteurs structurels tels que la taille réduite des parcelles, les prix constamment plus élevés des denrées alimentaires, et la croissance démographique, résulte en un nombre significatif de ménages pauvres se trouvant contraints de quitter leur village pour trouver des sources de revenus alternatives. Quitter son foyer est devenu un mécanisme d’adaptation négatif – une forme de “migration de détresse”. Selon le directeur d’une ONG implantée de longue date dans la région, les sécheresses récurrentes et les crises alimentaires ont poussé jusqu’à un tiers des familles à quitter complètement leur village.
Dans les villages frappés par l’insécurité alimentaire au nord et au centre du Burkina Faso, cette “migration de détresse” contraint souvent les personnes à chercher du travail dans les mines d’or. Presque chaque famille avec laquelle RI s’est entretenu dans les régions burkinabés du Centre Nord et du Sahel comportait au moins un membre de la famille qui était parti travailler dans une mine. Bien que cela ne soit pas documenté dans ce rapport, les conditions dans un grand nombre de sites d’orpaillage sont extrêmement dangereuses et posent des risques graves pour la santé et la sécurité. Le travail des enfants est répandu : selon un représentant des Nations Unies au Burkina, jusqu’à 600 000 enfants travailleraient dans les mines. RI a rencontré de nombreuses familles dont les enfants âgés d’à peine 12 ans travaillaient dans des sites miniers locaux.
Au Niger, pays voisin, un phénomène similaire est apparu. Les familles pauvres se trouvent sans autre choix que de quitter leur village. Dans ces cas, les membres de la famille ne peuvent financer leur migration internationale vers des pays qui pourraient leur offrir des opportunités telles que de développer de nouvelles compétences ou de percevoir des salaires plus élevés. Au lieu de cela, en dernier recours, ils migrent vers des centres urbains pour se livrer à du petit commerce, ou dans les pires des cas, à la mendicité. Cette migration de détresse est particulièrement répandue durant les années de crise. Le représentant d’une ONG au Niger avec qui RI s’est entretenu estime que durant la crise alimentaire de 2005, 80 à 90 pourcent des personnes se trouvant dans certaines régions frappées durement par la crise ont été contraintes à quitter leur village afin de survivre.
Mais il n’est pas clair combien exactement de personnes migrent, ni pour combien de temps ils partent. En outre, il n’existe pas suffisamment d’analyses relatives à la corrélation qui existe entre les tendances migratoires et les chocs climatiques, ni sur la destination de cette migration - vers les centres urbains, vers les mines d’or, ou vers d’autres zones agricoles. Une autre lacune cruciale dans les données est relative aux impacts positifs ou négatifs sur ceux qui migrent et ceux qui restent, et particulièrement, les nouveaux risques en matière de protection qui découlent de ces mouvements. D’une manière générale, à ce jour, il n’existe pas d’estimations globales du nombre de personnes déplacées par les catastrophes qui progressent plus lentement, telles que les sécheresses ou les crises alimentaires, et qui peuvent évoluer au cours de plusieurs années, car il n’existe pas de méthodologie largement acceptée pour faire ces estimations. Les estimations annuelles du nombre de personnes déplacées par les catastrophes naturelles, compilées par le Centre de Surveillance des Déplacements Internes (IDMC), ne prennent pas en compte les individus déplacés par des catastrophes qui progressent plus lentement, telles que les sécheresses ou les changements plus progressifs liés au réchauffement climatique.
Initiatives de résilience – promesses et enjeux
Les sécheresses plus récurrentes, les crises alimentaires, et les urgences humanitaires complexes qui ont frappé le Sahel au cours des dernières années ont entraîné une vaste reconnaissance par les gouvernements nationaux, les institutions régionales, les bailleurs de fonds, et les agences humanitaires et du développement, du fait que davantage d’efforts doivent être déployés pour renforcer la résilience des ménages chroniquement vulnérables, afin qu’ils soient capables de résister aux chocs et de se relever plus rapidement.
Ceci a mené à l’adoption d’un large ensemble d’initiatives et de stratégies pour renforcer la résilience au Sahel. La principale d’entre elles est l’Alliance Globale pour l’Initiative Résilience – Sahel (AGIR), lancée en 2012 et adoptée par des gouvernements Sahéliens et Ouest-Africains, des organisations régionales, des agences des Nations Unies, et autres parties prenantes. AGIR représente une “conception partagée de la résilience” parmi ses membres pour soutenir et accélérer la mise en œuvre du programme régional de l’Afrique de l’Ouest sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle, avec l’objectif général d’atteindre “zéro faim” au bout de 20 ans en se basant sur les agendas régionaux et nationaux préexistants. Dans le plus court terme, AGIR vise à renforcer la résilience au sein des communautés vulnérables afin de les rendre capables de résister aux futurs chocs alimentaires. L’impulsion politique incombe à la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest), tandis que le CILSS (Comité pour le Contrôle de la Sécheresse au Sahel) fournit l’assistance technique nécessaire à la mise en œuvre du projet. Au début de l’année, AGIR a établi une feuille de route qui servira de base pour formuler les priorités nationales de résilience. Ces priorités nationales, à leur tour, sont censées définir le cadre opérationnel relatif au financement, à la mise en œuvre, au suivi, et aux évaluations. L’Union Européenne a été un soutien clé d’AGIR et elle s’est engagée à investir 1,6 milliards d’euros dans la stratégie au cours des six prochaines années.
Les agences des Nations Unies opérant dans la région ont également adopté une approche de résilience. L’année dernière, elles ont adopté la Stratégie Commune des Nations Unies pour Renforcer la Résilience en Afrique de l’Ouest, qui fait maintenant partie de la Stratégie Intégrée des Nations Unies pour le Sahel adoptée par le Conseil de Sécurité en juin 2013. En plus d’améliorer la gouvernance et les capacités régionales pour faire face aux menaces sécuritaires, la Stratégie Intégrée des Nations Unies cherche à intégrer les interventions sur le plan de développement et les interventions sur le plan humanitaire pour renforcer la résilience.
Les principaux bailleurs de fonds ont également adopté leurs propres stratégies et projets de résilience.
Par exemple, le Département pour le Développement International du Royaume-Uni (DFID) a publié un document de cadrage intitulé “Définir la Résilience aux Catastrophes” et s’est engagé à renforcer la résilience dans tous ses programmes-pays avant 2015. Le DFID soutien également les “Political Champions for Resilience”, une initiative au niveau mondial qui a pour but de produire un ensemble de plans pilotes au niveau national, dont un pour le Niger. En mars 2012, l’Union Européenne a adopté une stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel ayant pour but de s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté dans la région. Et au début de cette année, l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID) a sollicité des propositions de ses partenaires pour mettre en œuvre un nouveau projet s’élevant à 70 millions de dollars pour une durée de cinq ans, nommé Résilience et Croissance Economique au Sahel – Résilience Améliorée (REGIS-ER). REGIS-ER est l’un des trois nouveaux projets USAID qui cibleront des régions du Burkina Faso et du Niger dans lesquelles les moyens de subsistance sont précaires.
Au Sahel, le concept de résilience est particulièrement pertinent car il traite de l’incapacité des actions pour le développement à réduire la vulnérabilité chronique, qui à son tour contribue à rendre les urgences humanitaires plus récurrentes et à compromettre les avancées sur le plan du développement. Un représentant de haut niveau des Nations Unies a présenté le problème de la manière suivante: “La réponse à la crise alimentaire de 2012 a été perçue comme une amélioration car les alertes précoces ont donné lieu à une prise d’action précoce par les agences humanitaires, qui ont atténué les effets de la crise. Cependant, les bailleurs de fonds continuent de dépenser plus d’un milliard de dollars en coûts de réponse humanitaire,” (le gouvernement américain seul a dépensé plus de 400 millions de dollars).
“Dans l’avenir, la longue période de relèvement des ménages vulnérables implique qu’il y a de grandes chances pour qu’une nouvelle urgence humanitaire frappe d’ici un ou deux ans”. S’ils sont correctement mis en œuvre, les programmes de résilience pourraient atténuer les urgences humanitaires en contraignant les acteurs du développement à cibler les plus vulnérables, tout en contraignant les acteurs humanitaires à voir plus loin que l’intervention d’urgence immédiate et à faciliter un relèvement durable. Néanmoins, la mise en œuvre d’AGIR et de la Stratégie Intégrée des Nations Unies pose d’importants défis qui doivent être relevés pour que ces programmes remplissent leurs objectifs. Le premier obstacle est le nombre même de différentes initiatives et projets, ce qui mène à une grande confusion sur le terrain. Le problème est amplifié par le fait que les nombreux programmes de résilience sont menés par des entités différentes (par exemple des organismes régionaux, des agences/envoyés/représentants spéciaux des Nations Unies, des bailleurs de fonds, des institutions financières) qui ont des définitions quelque peu différentes de la “résilience”, ainsi que des envergures (régionale ou nationale) et cibles (population seules ou populations, gouvernements, et systèmes) différentes. Plutôt que d’être reliées les unes aux autres de manière intégrée, elles sont reliées à d’autres initiatives, acteurs, et programmes. Par exemple, AGIR est reliée à un ensemble d’initiatives nationales portant sur la sécurité alimentaire et la sécheresse, tandis que la Stratégie Intégrée des Nations Unies inclut un ensemble d’objectifs et d’initiatives portant sur la sécurité et la gouvernance. Comme l’a reconnu un représentant de haut niveau des Nations Unies, “C’est une source de confusion pour nous tous. Essentiellement, c’est en train d’être résolu à l’heure même où nous parlons.”
Le manque de propriété nationale ou d’adhésion à ces initiatives de haut niveau en ralentit également la mise en œuvre. Une partie du problème provient du fait qu’il n’existe aucune formule ni consensus concernant la manière dont AGIR doit être mise en œuvre au niveau national, ou concernant la désignation du chef de file. Alors que certains ont suggéré que les Coordinateurs Résidents/Humanitaires des Nations Unies au niveau régional et national devraient mener le jeu, les Nations Unies ont pris le parti de n’assumer aucun rôle officiel au sein d’AGIR. Certains pays possèdent des programmes nationaux relativement avancés pour lutter contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition (par exemple l’initiative les Nigériens Nourrissent les Nigériens, plus connue sous le nom de 3N), qui pourraient servir de base à partir de laquelle développer AGIR. Cependant, selon les représentants avec lesquels s’est entretenu RI, nombre de pays n’ont pas la capacité ou la volonté politique de mettre en œuvre les objectifs d’AGIR qui suivent une approche descendante, et dans certains pays la confusion demeure quant à la désignation des représentants gouvernementaux ou des ministères responsables.
Un troisième défi connexe est celui de la coordination. Chacune de ces initiatives appelle à la coordination, mais cela à travers des mécanismes et des ensembles d’acteurs différents. En bref, il n’existe aucun cadre unifié ni aucune vision pour une coordination entre les différentes initiatives de résilience, et dans certains cas pour la coordination au sein même des initiatives de résilience. Par exemple, la Stratégie Intégrée des Nations Unies propose une “plateforme de coordination” à travers laquelle les principaux bailleurs de fonds multilatéraux se réuniraient tous les six mois (commençant en septembre 2013) afin d’assurer la satisfaction des besoins et d’éviter tout chevauchement. AGIR appelle à l’établissement de mécanismes de coordination au niveau mondial (même s’ils ne sont pas encore définis) et au niveau des pays, afin que les mécanismes de coordination soient établis en se basant sur “des mécanismes préexistants des partenaires techniques et financiers de l’Alliance,” qui varieraient d’un pays à l’autre. Comme l’a fait remarquer le représentant d’une ONG au Niger en commentant sur les initiatives de résilience, “En théorie, c’est une bonne idée. Mais en pratique, c’est inextricable.”
La plupart des bailleurs de fonds et des agences des Nations Unies avec lesquels s’est entretenu RI reconnaissent qu’au niveau du pays, les gouvernement nationaux devraient servir de chef de file pour la coordination des différentes initiatives de résilience, et cela transparaît dans les différents documents stratégiques. Cependant, alors même que la propriété nationale est essentielle, il serait irréaliste de supposer que les gouvernements nationaux du Sahel, qui sont confrontés à d’immenses défis humanitaires, budgétaires, et sécuritaires, auraient la capacité de coordonner ce large ensemble d’initiatives. Etant donnés les flux financiers considérables prévus pour les programmes de résilience (s’élevant potentiellement à des milliards de dollars), le vaste éventail d’acteurs impliqués, et la capacité financière et humaine limitée des organismes régionaux et des gouvernement nationaux, une coordination efficace est essentielle.
Plutôt que de mettre en place plusieurs initiatives de résilience de manière indépendante et de s’attendre à ce que les gouvernements nationaux les coordonnent, une approche bien meilleure et plus rationnelle serait de rendre le Coordinateur Résident/Humanitaire des Nations Unies dans chaque pays responsable de la coordination des différentes initiatives de résilience. Les Coordinateurs Résidents/Humanitaires auraient pour responsabilité de collecter les informations des autres agences des Nations Unies, des bailleurs de fonds, des organismes régionaux, et des institutions financières internationales (IFI) telles que la Banque Mondiale, pour ensuite collaborer avec le gouvernement national en vue de produire un plan unique de résilience au niveau national. En outre, les Coordinateurs Résidents/Humanitaires identifieraient ou développeraient un mécanisme ou une plateforme pour coordonner la Stratégie Intégrée des Nations Unies avec AGIR et avec les autres initiatives menées par les bailleurs de fonds ou les IFI.
Cette approche est similaire à celle qui fut adoptée par le Comité Permanent Inter-Organisations (IASC) à travers le Cadre Commun pour la Préparation, qui fait partie intégrante du Programme de Transformation (TA). L’un des objectifs du TA est de renforcer la capacité globale pour la préparation aux catastrophes, une composante importante de la résilience. A cette fin, le Cadre Commun établit un procédé pour soutenir la capacité nationale pour la préparation aux catastrophes “d’une manière cohérente en utilisant une approche systématique au niveau du pays qui évalue collectivement la capacité et les besoins, utilise cette évaluation pour développer des programmes et plans de manière conjointe, et met ces programmes et plans en œuvre de manière cohérente pour améliorer la préparation.” En plus de reconnaître le besoin de planifier et de coordonner conjointement, le Cadre Commun met l’accent sur le rôle clé que les Coordinateurs Résidents/Humanitaires pourraient jouer en “soutenant le leadership du gouvernement et en coordonnant, notamment les entités onusiennes, mais aussi en recherchant la cohérence entre un large nombre d’acteurs pertinents.” Il paraîtrait logique que la même approche soit utilisée pour coordonner les stratégies de résilience au niveau national en Afrique de l’Ouest, ainsi que pour les relier au Cadre Commun et au TA.
Les initiatives de résilience menées par les bailleurs de fonds ont également besoin de soutien. Il est vrai que l’approche de renforcement de la résilience adoptée par REGIS-ER n’est pas radicalement différente de celle présente dans les programmes actuels financés par USAID, tels que les Programmes d’Assistance Alimentaire de Développement du Titre II (DFAP) (projets hors urgence se déroulant sur plusieurs années, basés sur des dons en espèces, qui ciblent les causes profondes de la faim et de la malnutrition, par exemple en diversifiant les revenus des ménages et en renforçant la production agricole). Par ailleurs, il est encore trop tôt pour savoir si l’objectif de REGIS-ER d’améliorer la résilience “en renforçant, en approfondissant, et en élargissant la portée pour les adaptations résilientes et les innovations qui sont déjà en cours” s’avèrera transformationnel. Néanmoins, USAID mérite d’être crédité pour avoir développé avec succès de nouveaux procédés de planification intersectoriels et conjoints (Cellules de Planification Conjointe), qui abattent les cloisonnements existants entre les actions humanitaires et les actions pour le développement. En outre, le bassin de financement de REGIS-ER, qui inclut divers acteurs humanitaires et du développement, représente une approche de la programmation considérablement améliorée et plus complète, qui paraît logique pour des pays qui sont confrontés à des urgences humanitaires récurrentes. Les efforts déployés par USAID pour dupliquer cette approche dans d’autres pays/régions qui sont confrontés à des urgences humanitaires récurrentes sont tout à fait louables. En outre, étant donné qu’une grande partie du financement pour les programmes visant à renforcer la résilience est actuellement canalisée par les programmes hors urgence du Titre II autorisés par la loi agricole (par exemple, les DFAP), le Congrès Américain devrait soutenir le financement robuste des programmes hors urgence du Titre II en accord avec la loi sur les appropriations agricoles du sénat pour l’exercice 2014, et adopter un projet de loi agricole (Farm Bill) qui inclurait l’autorisation des projets hors urgence visant à renforcer la résilience.
La portée géographique limitée de la stratégie de USAID constitue néanmoins l’une de ses faiblesse. Le projet REGIS-ER est restreint à certaines zones du Burkina Faso et du Niger dans lesquelles USAID est déjà en train de mener des initiatives relatives à la sécurité alimentaire, et le projet est géré par le bureau USAID Régional pour l’Afrique de l’Ouest, qui est basé à Dakar. D’autres pays Sahéliens ne sont pas inclus, tels que le Tchad, la Mauritanie, le Sénégal et le Nigéria – ce dernier étant un acteur crucial au niveau des marchés, de la migration, et de la sécurité, en particulier dans ses pays voisins, le Niger et le Burkina Faso. Par exemple, les inondations et le conflit qui ont frappé le Nigéria au cours de la dernière année ont eu des effets négatifs sur les prix des denrées alimentaires et sur le commerce transfrontalier du bétail au Niger, augmentant ainsi l’insécurité alimentaire dans le pays. Afin de rendre la région résiliente à long terme, USAID doit élargir sa stratégie Ouest-Africaine de résilience afin d’y inclure d’autres pays, en particulier le Nigéria.
Etablir le lien entre résilience et migration de détresse
Les projets de résilience doivent offrir aux ménages vulnérables des moyens de subsistance plus sûrs qui limiteraient le recours à la migration de détresse. Ces projets doivent inclure des activités qui permettent de mieux suivre et de mieux surveiller la migration en tant que stratégie d’adaptation négative, ainsi que d’établir des mesures pour atténuer ses effets négatifs sur les ménages vulnérables. Enfin, le succès d’un projet doit être évalué, en partie, sur le degré auquel les activités du projet contribuent à la réduction de la migration.
Le projet REGIS-ER de USAID reconnaît le rôle de plus en plus prééminent que joue la migration économique en tant que stratégie de survie pour les ménages vulnérables. Le projet souligne les risques que les pratiques actuelles de migration économique posent aux ménages les plus vulnérables, dont les risques d’exploitation, d’extorsion, de maladies sexuellement transmissibles (MST), et de violence basée sur le genre (VBG), ainsi que leur potentiel à affaiblir les liens et la cohésion familiaux. REGIS-ER vise à atténuer les risques en facilitant l’accès aux documents d’identification nationale, en développant les compétences des travailleurs afin de les faire correspondre aux compétences qui font l’objet d’une plus forte demande, et en améliorant l’accès à l’information sur les opportunités d’emploi. Des mécanismes de soutien sont également prévus dans le but de minimiser les effets négatifs de la migration économique sur les femmes et sur les familles, tels que la VBG, pour les migrants comme pour ceux qui restent.
Cependant, dans les régions du Burkina et du Niger ciblées par REGIS-ER, il existe actuellement très peu de moyens de subsistance alternatifs. Bien que les activités identifiées puissent freiner quelque peu la migration et le déplacement liés au changement climatique, il est très peu probable qu’elles permettent d’endiguer complètement le flux migratoire. Ainsi, en plus d’atténuer les risques liés à la migration, REGIS-ER et les autres programmes de résilience doivent intégrer le besoin de mieux protéger les individus qui ont recours à la migration de détresse en réponse aux chocs climatiques. Pour ceux qui sont contraints à fuir vers les villes pour se livrer au petit commerce, il faut développer un meilleur système de suivi et améliorer les services et la protection.
Au Burkina, cela se traduit par un soutien aux gouvernements nationaux et locaux afin de s’attaquer aux terribles conditions de travail dans les sites miniers et de faire appliquer de meilleures lois sur la santé, la sécurité, et le travail des enfants. A ce jour, le Département Américain du Travail finance un projet d’assistance technique s’élevant à 5 millions de dollars sur une période de quatre ans pour soutenir les efforts visant à réduire le travail des enfants dans la culture du coton et dans l’orpaillage artisanal. En plus de dispenser l’enseignement aux enfants et de leur assurer des services de protection sociaux, le projet cherche à offrir des alternatives quant aux moyens de subsistance et des activités génératrices de revenus pour les familles qui envoient leurs enfants travailler dans le but d‘assurer leur propre survie économique. Les projets de résilience mis en œuvre par USAID devraient établir des liens entre ces projets ainsi que de les élargir.
De la même façon, les autres bailleurs de fonds, les agences des Nations Unies, et les gouvernements nationaux devraient reconnaître le lien existant entre les chocs climatiques récurrents et la migration ou le déplacement involontaires en tant que stratégies d’adaptation négatives, et intégrer la protection contre les risques associés au déplacement dans leurs stratégies visant à renforcer la résilience.
Enfin, les projets de résilience doivent intégrer le besoin de renforcer les capacités du gouvernement afin de mieux gérer des niveaux croissants de déplacement lié au climat. La Convention de l’Union Africaine sur la Protection et l’Assistance des Personnes Déplacées Internes (PDI) en Afrique (Convention de Kampala), entrée en vigueur à la fin de l’année 2012 et ratifiée par le Niger comme par le Burkina Faso, constitue un mécanisme important pour la réalisation de cet objectif. La convention de Kampala étend la protection à ceux qui ont été déplacés au sein de leur propre pays à cause de conflits ou de catastrophes naturelles. Elle procure également aux acteurs humanitaires et du développement un cadre important fondé sur les droits, qui permet de développer des programmes visant à limiter le déplacement résultant de catastrophes naturelles et à protéger les personnes déplacées en améliorant l’accès au logement, aux services de base, et en multipliant les opportunités de développer des moyens de subsistance, diminuant ainsi la pauvreté. Les Nations Unies, avec le soutien des bailleurs de fonds, devraient fournir leur assistance technique aux gouvernements nationaux qui appliquent la Convention de Kampala et garantir la protection des personnes déplacées par des chocs liés au climat.
Conclusion
La nouvelle attention portée aux menaces complexes qui pèsent sur le Sahel est certainement la bienvenue, tout comme le sont les initiatives visant à renforcer la résilience qui reflètent une compréhension mieux ajustée des causes profondes de la vulnérabilité. Mais de la même façon que le renforcement de la résilience requiert que l’on se concentre sur les causes profondes de la vulnérabilité, cela requiert également une compréhension plus nuancée des changements liés au climat en tant que moteurs de nouvelles formes de déplacement et de migration, qui ne s’inscrira pas nécessairement dans les définitions ou classifications existantes. Au vu des risques conséquents en matière de protection et résultant de la migration de détresse, bien plus de recherche et de ressources doivent être dédiées à un meilleur suivi et à une meilleure surveillance. En outre, les Nations Unies, les bailleurs de fonds, et autres acteurs doivent agir vite afin de relever les défis majeurs, tel que celui que pose la coordination, auxquels est confrontée la mise en œuvre efficace des nombreuses initiatives de résilience existant dans la région. Enfin, il sera impossible d’inverser le déficit croissant de résilience au Sahel sans s’attaquer à la croissance démographique et au changement climatique galopant qui constituent des forces compensatrices. Le renforcement de la résilience ne doit pas faire oublier aux Etats-Unis et aux autres principaux émetteurs de gaz à effet de serre le besoin urgent de ralentir et d’inverser la machine du changement climatique avant qu’il ne soit trop tard, tout en atténuant ses effets dévastateurs sur les populations, telles que celles du Sahel, qui sont les dernières responsables.
Alice Thomas s’est rendue au Burkina Faso et au Niger en Juin 2013 afin d’évaluer la situation des ménages vulnérables touchés par des sécheresses et crises alimentaires répétées, et de collecter des informations sur la mise en œuvre des nouvelles initiatives de résilience conduites par les Nations Unies et les bailleurs de fonds.
POLICY RECOMMENDATIONS
Les Nations Unies: Dans chaque pays qui met en place des initiatives de résilience, le Coordinateur Résident/Humanitaire de l'ONU doit assurer un rôle de chef de file pour coordonner les différentes initiatives de résilience.En se basant sur les contributions de l’équipe de pays de l'ONU, des bailleurs de fonds, des organismes régionaux, et des institutions financières internationales, il/elle devra développer un plan unique de résilience au niveau pays ainsi qu’un mécanisme de coordination, en coopération avec le gouvernement national, avec lequel les initiatives peuvent se lier.
Avec le soutien des bailleurs de fonds, les Nations Unies devraient fournir leur assistance technique aux gouvernement nationaux afin de mettre en œuvre la Convention de Kampala sur la Protection des Personnes Déplacées Internes et en vue d’assurer la protection des personnes déplacés par des chocs liés au climat.
L'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID):
Exiger des programmes de résilience qu’ils suivent et surveillent la migration de détresse qui résulte de chocs climatiques récurrents, et identifier et faire face aux risques en matière de protection posés aux migrants comme à ceux qui restent.
Etablir des liens entre les programmes de résilience au Burkina Faso et les programmes qui répondent aux risques alarmants en matière de santé, de sûreté, et de conditions de travail des enfants dans les sites d’orpaillage.
Le Congrès des États-Unis:
Soutenir un meilleur financement pour les programmes hors urgence du Titre II en adoptant un projet de loi agricole (Farm Bill) qui inclurait l’autorisation de programmes hors urgence visant à renforcer la résilience.