BAMAKO, 7 août 2013 (IRIN) - Outre les ralentisseurs et les postes de contrôles où les commerçants locaux se pressent autour des véhicules qui s'attardent, il existe peu d'infrastructures visibles sur les 635 km de route séparant Bamako, la capitale du Mali, de la ville de Mopti, dans le centre du pays. La brousse est parsemée de panneaux rongés par la rouille et de bannières aux couleurs passées de bailleurs de fonds internationaux annonçant des projets de développement abandonnés depuis longtemps ou jamais entrepris.
En voyant la pauvreté et le dysfonctionnement qui règnent actuellement au Mali, il est difficile d'imaginer le succès des projets de développement entrepris par toutes sortes d'organisations multilatérales et d'organisations non gouvernementales (ONG) avant le conflit et le coup d'État. Jusqu'à l'évincement du président Amadou Toumani Touré en mars 2012, cet État d'Afrique de l'Ouest était la coqueluche de la communauté humanitaire et était salué pour avoir accumulé les réussites en matière de transition démocratique depuis 1991.
Mais les statistiques dressent un tableau bien différent.
Selon les analystes et les observateurs, l'aide destinée au Mali a été, au mieux, inefficace du point de vue du développement économique et institutionnel. Elle a favorisé la corruption, sapé la volonté et la capacité du gouvernement à générer des revenus grâce à la production et aux impôts et exempté l'État du devoir de rendre des comptes à la population. Au pire, ces conditions ont été une cause directe du conflit dans le Nord et de la crise politique à Bamako.
De l'argent pour rien
Le Mali est l'un des pays les plus pauvres d'Afrique subsaharienne. L'indice de développement humain (IDH) de 2012 le place au 182e rang sur 186 et son PIB par habitant de 2012, exprimé en parité de pouvoir d'achat, le situe à la 34e place sur les 45 pays d'Afrique subsaharienne. Il enregistre par ailleurs une croissance réelle du PIB négative.
Le pays dépend donc fortement de l'aide internationale. En 2008, l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) estimait que les bailleurs de fonds participaient à hauteur de 60 à 80 pour cent au budget spécial d'investissement du Mali.
Si le pays a enregistré de fortes augmentations de son PIB après 1990, cela n'a pas suffi à améliorer la qualité de vie des Maliens. Selon un document de travail de l'Institut mondial de recherche sur les aspects économiques du développement de l'Université des Nations Unies, cette croissance était vraisemblablement davantage due à la dévaluation de la monnaie et aux exportations d'or qu'à une réelle production économique.
En outre, selon des données empiriques, le Mali est en quelque sorte entré dans un cercle vicieux concernant l'aide humanitaire. Celle-ci crée de l'emploi lorsque les dollars affluent, mais n'instaure pas les conditions nécessaires à une croissance économique durable, à la réduction de la pauvreté et au développement institutionnel.
« Lorsque les ONG [organisations non gouvernementales] sont parties, l'impact a été double », a dit un défenseur des droits des jeunes de Mopti au sujet du retrait des bailleurs de fonds après le coup d'État de 2012. « Les projets humanitaires étaient bien sûr importants, mais les conséquences sur l'emploi ont été encore plus graves, [car] près de 30 pour cent des jeunes travaillaient pour des organisations humanitaires. »
Cette situation économique ne peut pas être imputée aux responsables du coup d'État, aux séparatistes touaregs ni aux milices islamistes. Le pays stagne au bas de l'échelle de développement depuis bien avant 2012 et même avant la première publication de l'IDH en 1990.
Crise de confiance
Le Mali ne se porte guère mieux en matière de développement institutionnel politique et du secteur public.
Entre 2003 et 2011, la population a toujours qualifié de médiocre l'intégrité du secteur public, classant le pays dans la moitié la moins bien lotie d'Afrique subsaharienne en la matière. Il est particulièrement révélateur de constater que la seule véritable hausse de confiance de la population (de 21,4 pour cent) a été enregistrée après le coup d'État de 2012.
Par ailleurs, entre 1992 et 2007, le Mali s'est généralement situé derrière tous ses voisins du Sahel en matière de participation électorale, que ce soit pour les législatives ou les présidentielles.
Selon un sondage d'opinion réalisé au Mali en février 2013, les deux raisons les plus citées pour expliquer les différentes crises traversées par le pays sont « le manque de patriotisme chez les dirigeants » et « la faiblesse de l'État » (31 pour cent et 16 pour cent respectivement). Soixante-seize pour cent des personnes interrogées ignoraient le nom de leurs représentants politiques.
Aide et redevabilité
Selon les analystes, passer par le gouvernement d'un pays en proie à une corruption endémique à tous les niveaux pour acheminer l'aide humanitaire corrompt la structure incitative de l'État. Cela exempte le gouvernement du devoir de rendre des comptes aux investisseurs étrangers, les bailleurs de fonds, en l'occurrence, qui ont participé en toute connaissance de cause à la corruption. Cela supprime également la nécessité pour le secteur public de mettre sur pied des institutions gouvernementales de base, qui représentent le « lien vital de redevabilité entre l'État et les citoyens», selon Jonathan Glennie, auteur et spécialiste de l'aide humanitaire. Sans cette redevabilité, les citoyens sont exclus du processus politique et les élites sont libres de soutirer et exproprier les biens de l'État sans retenue, créant les conditions idéales pour la défaillance de l'État et le conflit.
Cette absence de redevabilité et de surveillance se manifeste dans le détournement de l'aide. « Nous ne sommes pas pauvres à cause d'un manque d'aide, nous sommes pauvres parce que l'aide ne parvient pas aux populations visées », a dit Mahmoud Cheibani, enseignant dans une école secondaire de Tombouctou.
Cette situation est particulièrement problématique dans le Nord.
Selon le responsable d'une ONG malienne qui a ouvré dans le Nord pendant la crise et l'occupation par les islamistes, « à Tombouctou, le président du Haut Conseil Islamique s'accorde la part du lion. À Gao, c'est le maire. À Kidal, c'est la famille Intallah [chefs touaregs ifoghas]."
Aide et conflit
À l'échelle locale et sous-régionale, l'argent de l'aide a parfois clairement alimenté les conflits ethniques au Mali.
L'exemple le plus frappant est un projet désastreux du Programme des Nations Unies pour le développement. Des millions de dollars investis dans le désarmement, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants après la rébellion de 1990 ont été distribués de manière disproportionnée à un groupe ethnique, les touaregs ifoghas. Ces derniers ont directement utilisé ces fonds pour acheter la fidélité de la population et consolider leur pouvoir aux dépens de leurs rivaux, les touaregs imghad.
Il est plus difficile de mettre en évidence le lien de cause à effet entre l'aide et le conflit à plus grande échelle, mais ce lien a été confirmé au Mali par plusieurs études rigoureuses.
Selon ces études, l'aide humanitaire favorise les conflits dans les pays qui pâtissent d'un faible degré de développement institutionnel et d'un pouvoir exécutif incontrôlé, ce qui engendre une concurrence pour les recettes non fiscales parmi les élites. Pour résumer, le Mali est victime d'un pouvoir exécutif disproportionné, renforcé par l'aide étrangère qui est principalement acheminée par cette branche du gouvernement aux dépens d'autres institutions, ce qui creuse encore plus l'écart entre les citoyens et les dirigeants et fait de cet argent l'objet de concurrences.
Dans leur ensemble, ces données semblent démontrer que ce sont les institutions maliennes qui sont à l'origine des problèmes du pays. Elles corroborent également les affirmations de certains experts selon lesquelles le coup d'État, la rébellion touarègue, la forte présence d'Al-Qaida et la corruption du gouvernement seraient tous des symptômes d'un même dysfonctionnement institutionnel. Rien n'a fondamentalement été fait pour résoudre les défaillances en matière de redevabilité et de contrôle et pourtant, plus de quatre milliards de dollars d'aide au développement sont prêts à être distribués au terme de l'actuelle transition politique.
À un point aussi critique dans le développement du Mali, les bailleurs de fonds potentiels feraient bien d'étudier de nouveaux modèles et de changer leurs priorités pour garantir l'efficacité, la durabilité et la valeur des projets de développement.
Toute aide n'est certainement pas contreproductive, et ces données ne concernent en aucun cas tous les efforts d'assistance humanitaire. L'intervention d'urgence des organisations multilatérales et des ONG locales et internationales a été essentielle dans l'atténuation de la crise alimentaire de 2011-2012 au Sahel, par exemple. Mais, finalement, doter le Mali d'institutions fortes, capables de prendre les rênes de ce genre d'interventions, serait la manière la plus efficace et la plus durable de conduire le pays vers la prospérité.
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