A l’issue d’une mission à Kidal, Gao, Mopti Segou et Sévaré, et à quarante-huit heures de l’élection présidentielle, la FIDH et l’AMDH appellent à la tenue d’un scrutin libre, transparent et apaisé permettant la mise en place de nouvelles autorités légitimes qui devront garantir la sécurité de toutes les populations, œuvrer résolument pour la justice et la lutte contre l’impunité ainsi que permettre une réelle réconciliation nationale alors que persistent des tensions notamment à Kidal, Tessalit et Menaka.
Au terme d’une mission d’observation et d’enquête d’un mois notamment à Segou, Mopti, Gao et Kidal, la FIDH et l’AMDH ont pu évaluer le processus de préparation de l’élection présidentielle. Alors que la campagne électorale s’achève officiellement ce vendredi à 00h, plusieurs points positifs sont à noter parmi lesquels les conditions satisfaisantes d’expression politique de tous les candidats, la tenue de meetings sur l’ensemble du territoire, l’engouement réel de la population pour l’élection et le taux de distribution des cartes électorales. Ainsi, selon les dernières estimations disponibles, près de 80% des cartes Nina auraient pu être distribuées. Dans les régions du Nord du pays, la situation est plus contrastée avec plus de 75% à Gao mais seulement 33% à Menaka ou encore 10000 cartes distribuées sur les 33000 prévues dans la région de Kidal. Pour autant, plusieurs inconnus demeurent à propos du scrutin comme le taux de participation généralement faible au Mali (36% à la dernière élection présidentielle), le bon déroulement des opérations de vote et notamment la possibilité pour les électeurs de trouver le bon bureau pour voter, la gestion d’un éventuel contentieux électoral et la reconnaissance des résultats par les candidats. Ces derniers se sont néanmoins engagés en adhérant à un code de bonne conduite. La FIDH et l’AMDH leur ont adressé 10 engagements à souscrire en faveur des droits humains. Il faut noter que dans les régions du Nord du pays, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) s’est engagé à ne pas perturber les opérations de préparation et de vote du scrutin de dimanche.
« Le scrutin est une occasion historique pour un nouveau départ pour le Mali. Malgré les difficultés d’organisation, de temps et de sécurité qu’il ne faut pas ignorer, les populations doivent aller voter et les candidats doivent faire preuve de responsabilité pour donner aux nouvelles autorités du pays la légitimité nécessaire afin de reconstruire un pays plus démocratique » a déclaré Karim Lahidji, président de la FIDH.
L’acceptation des résultats et le cas échéant l’activation des recours légaux et du juge électoral constituent le socle fondamental d’une élection démocratique et apaisée dont le Mali a aujourd’hui besoin.
Sécurité au Nord et enjeu de l’élection
L’un des enjeux de l’élection demeure la situation sécuritaire dans les régions du Nord du pays et notamment dans celles de Gao et Kidal. La ville de Gao n’a pas connu d’épisode de violence depuis l’attaque du mois d’avril 2013 ce qui constitue une réelle amélioration. La mission de la FIDH et de l’AMDH sur place n’a pas constaté d’événements de nature à remettre en cause la tenue du scrutin dans des conditions de sécurité acceptable, l’attention devant cependant être maintenue en particulier dans la zone de Ménaka.
La région de Kidal a par contre connu plusieurs événements sécuritaires depuis l’accord de Ouagadougou : l’enlèvement pendant 48h de 5 agents électoraux et un élu local à Tessalit, des échauffourées qui ont fait au moins 1 mort et plusieurs blessés entre le jeudi 18 et samedi 20 juillet 2013 dans la ville de Kidal et une altercation armée entre les Forces armées maliennes (FAMA) et un véhicule du MNLA au marché de Kidal le 25 juillet au soir. Ceci démontre que la situation demeure tendue dans la ville de Kidal bien que les grandes lignes de l’accord de Ouagadougou sont respectées par les parties avec des patrouilles limitées des FAMA en ville et un cantonnement dans l’ensemble respecté par le MNLA. La mission de la FIDH et de l’AMDH présente à Kidal a pu se rendre compte que les entorses à l’accord politique instaurant un équilibre déjà fragile sont propices aux incompréhensions et aux défiances réciproques qui peuvent rapidement déraper. Ainsi, les patrouilles des FAMA en l’absence d’éléments de la MINUSMA, la circulation en ville de véhicules identifiés du MNLA, contenant parfois des armes à leur bord, ou la présence à Kidal d’éléments de l’armée malienne ayant été impliqués dans la crise ont été les principaux déterminants des épisodes de violence ou de tension des dernières semaines.
L’altercation du 25 juillet au marché de Kidal, entre une patrouille FAMA et un véhicule du MNLA, rassemblerait, selon les premières constatations, tous ces ingrédients. Si aucun blessé n’est à déplorer, cet incident aurait pu avoir de lourdes conséquences.
Pour prévenir de nouveaux épisodes de tensions, nos organisations préconisent donc non seulement un strict respect des engagements par l’ensemble des parties mais aussi des actes allant dans le sens de l’apaisement. En premier lieu, la MINUSMA devrait au plus vite accentuer sa présence militaire aux côtés des FAMA à Kidal, de jour comme de nuit pour garantir dans les faits la conduite de patrouilles conjointes. En second lieu, compte tenu des besoins en matière de maintien de l’ordre, le gouvernement malien devrait renforcer la présence des FAMA par des éléments de la gendarmerie et, dans un esprit d’apaisement, s’assurer que le détachement des FAMA à Kidal soit exempt d’éléments suspects d’implication dans des violations des droits humains permettant ainsi le strict respect du droit international humanitaire par l’armée malienne, tel que stipulé par l’accord de Ouagadougou. Également, le MNLA devrait veiller strictement au contrôle de ses éléments en garantissant pleinement leur cantonnement et en prévenant des exactions contre les populations civiles, et contribuer ainsi à l’apaisement. Enfin, les forces de la MINUSMA et avec elle de l’opération Serval devraient maintenir leur présence effective et jouer pleinement leur rôle sur le terrain en ce qu’elles constituent, avec l’assentiment de toutes les parties à l’accord de Ouagadougou et dans l’attente d’un accord définitif, un réel garant pour la sécurité des personnes et des biens.
Un besoin urgent de justice
La FIDH et l’AMDH ont entendues des dizaines de victimes de violations des droits de l’Homme perpétrées pendant la crise par toutes les forces en présences. Les témoignages recueillis retracent les grandes étapes du conflit, depuis l’offensive des groupes armés en janvier 2012 aux attaques suicides d’avril 2013. Plusieurs centaines de personnes ont été victimes d’exactions et de violations graves des droits humains au cours de cette période et sur l’ensemble du territoire y compris à Bamako dans le cadre de cette triple-crise : l’offensive rebelle du MNLA, la crise institutionnelle et le coup d’Etat puis l’émergence des groupes armés djihadistes et leur contrôle d’une large partie du territoire. Les combattants se sont livrés à de nombreuses violations du droit international humanitaire et des droits de l’Homme qualifiables de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. La FIDH et l’AMDH avaient déjà recensé ces crimes dans son rapport « Crimes de guerre au Nord-Mali » en juillet 2012. Les enquêtes complémentaires menées depuis lors ont confirmé la réalité et l’ampleur des exactions commises et celles perpétrées depuis lors. Exécutions sommaires, actes de tortures, violences sexuelles et pillages ont caractérisé la crise sans être l’apanage exclusif d’une des parties.
Pour autant, l’occupation des groupes armés djihadistes a profondément marqué les populations par leurs méthodes expéditives, et des pratiques telles que les mariages forcés qui constituaient souvent une « légalisation » des viols, parfois collectifs. L’ampleur des crimes sexuels est l’une des caractéristiques de ce conflit. Ainsi pour la seule région de Gao, au moins 150 cas de viols ont ainsi été commis dont les éléments du MNLA et les groupes djihadistes seraient les principaux auteurs. Les femmes victimes de ces exactions sont aujourd’hui largement stigmatisées par une société où ces crimes demeurent taboue malgré l’importance de ce phénomène. Il est urgent aussi que la justice malienne et internationale puisse garantir à ces femmes les conditions d’un accès effectif à la justice. Le prochain président devra dans le cadre d’une nécessaire réforme de la justice garantir l’adoption de mesures spécifiques de protection des victimes et témoins de ces crimes.
Les personnes rencontrées soulignent toutes l’urgence de voir une justice efficace et impartiale œuvrer au Mali. Encore absente d’une large partie du territoire national comme à Gao, Kidal, Tombouctou et la plupart des régions du Nord, l’institution judiciaire doit pouvoir être présente et agir.
« La justice doit être au même titre que la sécurité une priorité du prochain président car c’est non seulement une affirmation de la présence de l’État mais pouvoir saisir un juge indépendant est aussi une protection face à tous les arbitraires » a déclaré Me Moctar Mariko, président de l’AMDH.
La justice malienne a par ailleurs ouvert des procédures à l’encontre de présumés responsables de crimes commis pendant la crise. Près de 170 personnes ont été inculpées et sont en détention dans le cadre de ces procédures. 28 autres mandats d’arrêt ont été délivrés sans avoir été exécutés à ce jour. Les enquêtes menées tant par la FIDH et l’AMDH que les autres ONG ou institutions internationales ou nationales doivent alimenter les procédures de la justice malienne et contribuer à une justice impartiale dans des délais raisonnables. Tous les interlocuteurs rencontrés ont souligné la nécessité d’établir la vérité et de rendre justice aux victimes dans un pays ou l’impunité a souvent été la règle.
La vérité comme outil de justice pour une réconciliation nationale
Alors que le pays souhaite un nouveau départ, des centaines d’entretiens réalisés avec des victimes, des témoins, des responsables politiques, des associations, des militaires, des représentants diplomatiques et d’organisations internationales émerge le besoin d’éclairer l’histoire à la lumière de la vérité et de la justice. Ce passé occulté semé de violations des droits humains, d’impunité pour leurs auteurs, de mal développement, de corruption et d’arrangements politiques ont largement constitué le terreau de la crise, l’implantation de mouvements armés religieux extrémistes, la multiplication de milices qui ont plongé le pays dans la violence. Afin de ne pas reproduire les erreurs du passé, les populations souhaitent aujourd’hui se réapproprier leur histoire, témoigner de leur vérité et voir émerger une justice effective qui permette la sanction des responsables plutôt que leur promotion ou leur maintien en fonction.
Le renforcement du processus de réconciliation nationale doit ainsi être une priorité du prochain président, et de la prochaine assemblée nationale pour tous les maliennes et les maliens. La mise en place d’une structure d’écoute, d’enquête et de proposition pour réformer l’État et les institutions devrait garantir le droit des victimes à la vérité, à la justice, à la réparation et à la garantie que l’État ainsi réformé soit un véritable protecteur de leur droits avec des recours effectifs en cas de violations.
La FIDH et l’AMDH recommandent au futur gouvernement de consulter la population sur les termes, les conditions et les personnes chargées de mener un processus effectif de réconciliation nationale basé sur la vérité, la justice, la réparation des préjudices subis et les réformes institutionnelles permettant la non-répétition des crises et des violations des droits humains.
Le prochain président pourrait ainsi mettre en place, à la suite de la Commission Dialogue et Réconciliation, un mécanisme de suivi chargé du processus de réconciliation nationale sur la base des consultations populaires menées, avec pour mandat l’écoute de toutes les victimes des violations des droits de l’Homme du passé, l’établissement des responsabilités, le rétablissement des victimes dans leurs droits y compris à la réparation et la mise en place des conditions d’une réconciliation entière et durable par la modernisation et la réforme de l’Etat afin de prévenir la récurrence des violations des droits de l’homme et des conflits en éliminant leurs causes structurelles.
« Dans les pays qui ont connu des violations massives et répétées des droits de l’Homme depuis des décennies, les processus de vérité, de justice et de réconciliation constituent une nécessité pour la Nation mais aussi pour chaque famille endeuillée qui ne saurait trouver de repos tant que le sort de ses parents tués n’aura pas été éclairci et reconnu. C’est par ce chemin que le Mali pourra construire son unité dans sa diversité et dans la paix » a déclaré Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH.