BAMAKO/GAO, 23 avril 2013 (IRIN) - Les habitants des villes de Gao et Tombouctou, au nord du Mali, demandent le retour rapide des fonctionnaires, qui pourront remettre en route les services de base et gérer leurs villes où, disent-ils, règne un « chaos total ».
Après dix mois d'occupation, les groupes d'insurgés ont été évincés de la plupart des grandes villes du Nord, y compris Gao et Tombouctou, par les forces françaises, tchadiennes et maliennes. Malgré l'appel lancé par le gouvernement fédéral, très peu de fonctionnaires ont regagné leur poste.
En l'absence d'administration, les résidents - et notamment les anciens des villages, les chefs, les femmes et les jeunes - font fonctionner les services de base et s'efforcent de nettoyer les dégâts.
Désorganisation
Au début du mois d'avril, le gouverneur et les préfets de Gao ont fait leur retour, tout comme le directeur de l'académie, qui est chargé de la supervision des établissements scolaires de la région. À Tombouctou, le gouverneur et les deux préfets ont regagné leur poste. Les fonctionnaires responsables de la santé, de l'énergie, de l'éducation, de la planification et d'autres programmes ne sont pas encore revenus.
Dans la ville de Kidal, qui est toujours contrôlée par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), le gouvernement a nommé un gouverneur et des conseillers, qui se trouvent encore à Bamako, la capitale, et le MNLA a nommé son propre gouverneur.
La quasi-totalité des services régionaux de Gao sont désorganisés, a dit Aliou Touré, un enseignant de la ville de Gao. « La santé, l'agriculture, les impôts, le développement social, la police, la protection civile, le trésor, les banques . tous ces services sont désorganisés . Les fonctionnaires doivent revenir afin de [remettre] leur ville sur les rails ».
Le retour des fonctionnaires serait une garantie de stabilité et pourrait dissuader les insurgés de rester aux abords des villes, a-t-il dit.
En mars et en avril, les villes de Gao, Tombouctou et Kidal ont été attaquées par des insurgés qui s'étaient cachés dans des villages des environs.
La semaine dernière, le général Tiéfing Konaté, ministre de la Sécurité intérieure et de la Protection civile, a promis que la police ferait son retour à Tombouctou avant la fin du mois d'avril.
Oumar Sangaré, un autre enseignant de Gao, ressent de la colère. « Les fonctionnaires doivent revenir pour remettre de l'ordre. On ne peut pas vivre comme des animaux dans la jungle, sans lois, sans installations sanitaires de base, sans protection. Le gouvernement et les services bancaires doivent être remis en route tout de suite », a-t-il dit. « C'est le chaos total ici ».
Les enseignants du public doivent aller à Mopti, ville située à 500 km de là, pour obtenir leur salaire, a-t-il dit, étant donné l'absence de services bancaires. « C'est ridicule ».
Si les groupes d'aide locaux et internationaux fournissent des denrées alimentaires de base et de l'eau, des soins de santé et des services d'hygiène, ainsi que d'autres denrées de base à de nombreuses personnes vulnérables des régions du Nord, les programmes d'urgence essentiels, comme la distribution à grande échelle de fourrage et les campagnes de vaccination du bétail - qui sont essentielles à l'approche de la saison maigre - nécessitent la supervision du gouvernement [ http://www.irinnews.org/fr/Report/97811/Aggravation-de-la-crise-pour-les... ].
Auto-organisation sur fond de pénurie
Le nombre de fonctionnaires déplacés est tel que le gouvernement fédéral a demandé aux anciens et aux chefs des villages d'établir des comités de gestion dans les villes de Gao et Tombouctou pour gérer la situation de la manière la plus efficace possible.
M. Touré, l'enseignant, a indiqué que ces comités rencontraient des difficultés : « Ils ne peuvent travailler, car ils manquent d'expérience ou de moyens ».
À Gao, les femmes et les jeunes ont formé un groupe pour nettoyer la ville, a dit Daouda Traoré, un journaliste local.
À Kidal, les résidents se sont organisés au sein d'un comité de gestion.
Une grande partie du Nord connaît des pénuries d'eau, d'électricité et de carburant. Les deux principaux générateurs de la ville de Gao ne fonctionnent pas, ce qui veut dire que l'électricité n'est disponible que de 18h00 à 23h30, selon un responsable de la compagnie Énergie du Mali, EDM. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soutient la fourniture de carburant pour les centrales électriques de Kidal, Gao et Tombouctou afin d'assurer un accès à l'eau aux habitants. Dernièrement, l'organisation a demandé 50 millions de dollars pour maintenir ce service, pour distribuer de la nourriture à 420 000 personnes, des semences aux agriculteurs, du fourrage et des vaccins aux éleveurs [ http://www.icrc.org/fre/resources/documents/news-release/2013/04-10-mali... ].
À Tombouctou, la fourniture de combustibles est plus régulière grâce, notamment, à un riche négociateur qui offre du carburant.
Le gouvernement a élaboré un projet d'un montant de 198 millions de dollars pour reconstruire et réhabiliter le nord du Mali, a dit Bassidy Coulibaly, directeur général du ministère de l'Administration territoriale de Bamako, mais seulement 12 pour cent des fonds nécessaires sont disponibles.
Élections
Sous la pression de la communauté internationale, le gouvernement s'est engagé à organiser des élections d'ici juillet, mais des diplomates reconnaissent en privé que cette échéance est ambitieuse et ajoutent que les élections seront plus probablement organisées d'ici à la fin de l'année.
« Si le gouvernement veut vraiment organiser des élections d'ici juillet, l'administration doit revenir aussi vite que possible. Sinon, qui organisera les élections dans les régions ? », a demandé Oumar Touré, un fonctionnaire à la retraite de Tombouctou. Il craignait également que les résidents déplacés ne puissent pas voter.
« C'est inconcevable que des personnes [des résidents déplacés] reviennent - le gouverneur, les préfets travaillent dans une atmosphère d'anarchie totale », a-t-il dit à IRIN.
Peur
Bon nombre de résidents de Gao comprennent que les fonctionnaires hésitent à revenir.
Daouda Diarra, un journaliste de Gao, a dit à IRIN, « Je pense qu'ils [les fonctionnaires] ont raison d'avoir peur. Gao n'est pas complètement sécurisée et rien ne fonctionne ici. Tout a été pillé, détruit ou attaqué. Est-ce qu'ils travailleront sous des arbres ? Est-ce qu'ils vivront dans des arbres ? Le gouvernement doit satisfaire un minimum d'exigences avant de demander aux citoyens et aux fonctionnaires de revenir, sinon il les enverra juste à l'abattoir », a-t-il dit à IRIN par téléphone.
Moulaye Sayah, qui vit désormais à Tombouctou, était médecin à Kidal avant les évènements de 2012. « Le travail, c'est important, mais la vie, c'est sacré. Avant toute chose, il faut se protéger », a-t-il dit.
« Je comprends les doléances des populations du Nord qui demandent le retour de l'administration, mais comment et où pouvons-nous travailler ? », a-t-il dit, ajoutant que bon nombre de Maliens noirs ont peur de revenir à Kidal, qui est contrôlée par le MNLA.
Abdoul Karim Koné, sous-préfet de la ville de Toguérécoumbé, située dans la région centrale de Mopti, n'est pas d'accord. Cela fait deux semaines qu'il a repris le travail : « Le risque zéro n'existe pas. Si notre heure arrive, que ce soit à Kidal, Gao ou Bamako, c'est fini. Les gens doivent l'accepter et ils doivent reprendre le travail ».
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