Une interview d’Ousmane Diagana, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Mali, la Guinée, le Tchad et le Niger.
Le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, Makhtar DIOP, s’est rendu au Mali le 19 mars. Quel était le but de sa visite ?
Ousmane Diagana : Makhtar Diop est le vice- président de la région Afrique depuis mi-2012 et a donc pris ses fonctions environ trois mois après le début de la grave crise que connaît le Mali. Dès lors, il a toujours dit que le Mali en particulier, et le Sahel en général, étaient sa priorité. Cette visite n’a fait que confirmer cela, dans un contexte où la crise n’est pas encore totalement réglée. Lors de sa visite, il a eu l’occasion de rencontrer les autorités maliennes, à commencer par Dioncounda Traoré, Président de la République par intérim, Diango Cissoko, Premier ministre, Tiena Coulibaly, ministre de l’Économie et des Finances, et un certain nombre de ministres. Sa visite a également été l’occasion d’échanger avec divers acteurs maliens, notamment de la société civile et du secteur privé, pour comprendre la réalité des défis auxquels le Mali est confronté, mais aussi de constater que le pays dispose de véritables opportunités. Le fait que le Mali ait résisté à la crise, d’une certaine manière, confirme sa résilience sur le plan économique. Makhtar Diop a ainsi confirmé l’engagement résolu de la Banque mondiale à accompagner le Mali dans trois domaines : (i) contribuer au développement en finançant des programmes adéquats, nationaux, comme régionaux, (ii) produire du savoir pour faciliter le processus de décision en matière d’élaboration et de mise en œuvre de politiques économiques et sectorielles, et enfin (iii) mobiliser d’autres partenaires dans le soutien aux efforts de croissance et de développement.
La reprise de la coopération avec le Mali s’est-elle accompagnée d’une réorientation de l’appui de la Banque ?
Ousmane Diagana : Non, pas fondamentalement. Car il y a des handicaps réels auxquels le Mali est confronté en tant que pays enclavé, très vaste et désertique, avec une population très jeune. La Banque a toujours œuvré à réduire ces déficits structurels, et nous allons continuer à le faire. Cela dit, la crise a créé des défis nouveaux, aussi bien dans le nord que dans le sud du pays. Dans ce contexte, nous allons soutenir le Mali à travers des programmes spécifiques qui facilitent l’accès des populations les plus vulnérables, notamment les plus affectées par la crise, aux services essentiels de base. C’est une priorité dans le contexte actuel.
De même, nous savons que cette crise a fortement impacté l’économie réelle, en particulier les activités du secteur privé, qui contribue réellement à la création de la richesse nationale. Il s’agit là d’un domaine prioritaire qui va constituer un pilier important de notre intervention dans le pays, en plus des problématiques structurelles que j’ai citées plus haut.
Qu’en est-il de la stratégie de la Banque au Mali pour les années à venir ?
Ousmane Diagana : Le cadrage de nos interventions, qu’elles se fassent sous la forme de programmes, d’études analytiques, ou d’assistance technique, est essentiel et doit se faire à travers une stratégie. Dans le passé, nous avons eu à élaborer cette stratégie sur un horizon plus long, à travers des consultations très abouties, car nous avions visité le pays dans toute sa profondeur. Ce n’est pas possible cette fois-ci, compte tenu des conditions sécuritaires, mais nous avons quand même voulu garder l’essentiel. Pour cela, nous avons réuni les acteurs maliens autour d’une table pour échanger sur les besoins du pays, et comprendre comment ils perçoivent les actions de la Banque, comment peut se faire son accompagnement, et dans quels domaines prioritaires. La future stratégie va refléter ces échanges, même si elle aura une perspective plus courte car selon notre vision, le Mali va bientôt rentrer dans une phase de transition, une période de remise en ordre dans plusieurs domaines. Cette stratégie sera rapidement présentée à notre conseil d’administration, le 13 juin 2013, et va faciliter l’accès des Maliens aux services de base. Mais n’oublions pas que le Mali avait fait beaucoup de progrès dans ce domaine. L’un de nos objectifs sera de consolider ces acquis et de contribuer à bâtir des fondations solides, conditions essentielles pour la croissance, la stabilité économique, et le développement du pays.
Dans ce contexte de sortie de crise, quelles sont les perspectives pour l’économie malienne ?
Ousmane Diagana : Beaucoup pensaient que l’économie malienne allait s’écrouler dans ce contexte de crise. Les premières estimations évoquaient une récession d’environ 3% en 2012, mais elle sera finalement moins importante. En 2013, selon nos estimations, la croissance devrait enregistrer un retour à son niveau tendanciel de 5%. C’est le résultat de réformes structurelles menées au Mali par le passé, et d’une bonne gestion des finances publiques. Par ailleurs, des éléments conjoncturels favorables comme de bonnes récoltes, un cours de l’or à la hausse et une bonne saison des pluies appuient cette tendance. Pour autant, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers, le gouvernement doit maintenir les réformes structurelles et veiller à une réelle diversification de l’économie, tout en investissant dans les secteurs de croissance comme l’agriculture. Si les Maliens travaillent dans ce sens, avec le soutien des partenaires, alors ils pourront atteindre un taux de croissance de 5%, qui est relativement élevé dans l’absolu, mais pas suffisant pour un pays dont la population s’accroît de 3,3% chaque année. Cette croissance n’est pas suffisante pour pouvoir réinvestir dans l’économie. J’ai bien conscience que les réformes de société ne sont pas faciles dans un pays comme le Mali, mais les Maliens doivent l’avoir à l’esprit.
Quelle est la réponse de la Banque au défi sécuritaire dans tout le Sahel ?
Ousmane Diagana: La position centrale du Mali en Afrique de l’Ouest fait que les événements qui s’y passent concernent tout le Sahel. Ce qui impacte le Mali a nécessairement des conséquences sur les autres pays. On peut considérer que certains facteurs de la crise malienne sont d’ordre endogène, mais que d’autres facteurs viennent de l’extérieur, au regard de la question de porosité des frontières et du manque d’opportunités pour les jeunes dans cet ensemble géographique difficile qu’est le Sahel. D’où l’importance d’investir autant sur les programmes nationaux que sur les programmes régionaux. A ce titre, Makhtar Diop va très rapidement présenter des initiatives au conseil d’administration, pour nous amener à mobiliser davantage de ressources dirigées vers des programmes sous régionaux dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie et des infrastructures. Cela va aussi nous amener à travailler de manière plus efficace avec les structures sous régionales de l’espace ouest africain, dont certaines ont fait leurs preuves par le passé, notamment le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Le partenariat entre la Banque et ces institutions devra être renforcé pour que les programmes régionaux soient mieux adaptés aux défis du développement qui caractérisent le Sahel.