DAKAR, 14 mars 2013 (IRIN) - Alors que les organisations d'aide humanitaire sont aux prises avec une crise du déplacement et de la sécurité alimentaire qui s'accentue au Mali, les analystes suggèrent que des réformes profondes du gouvernement et de l'armée sont nécessaires pour atteindre une stabilité et un développement à long terme.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), depuis que le conflit a commencé, début 2012, environ 431 000 personnes auraient été déplacées (260 000 déplacés à l'intérieur de leur propre pays et 170 313 réfugiés) et 4,3 millions de personnes auraient besoin d'une aide humanitaire.
Le conflit a exacerbé l'insécurité alimentaire dans le nord du Mali et pompé les faibles ressources des communautés d'accueil du centre et du sud du pays. Selon l'OCHA, les tensions ethniques restent importantes et des rapports inquiétants font état de violentes représailles et de meurtres.
Selon un récent rapport des Nations Unies sur les besoins prioritaires, « la dynamique de la crise malienne a fortement changé sur les plans sécuritaire, politique et humanitaire [depuis janvier 2013]. Dans une certaine mesure le contexte s'est même complexifié, devenant encore moins lisible et prédictible qu'il ne l'était antérieurement. Sur le plan politique les incertitudes demeurent et l'on ne peut exclure l'apparition de nouvelles tensions ».
La situation humanitaire est étroitement liée à la crise politique. Selon Gilles Yabi, directeur d'International Crisis Group (ICG) en Afrique de l'Ouest, « les élites maliennes ne semblent pas prêtes à faire face collectivement [aux causes profondes de cette crise politique]. Elles devraient pouvoir se mettre d'accord sur un minimum [de critère pour restaurer une bonne gouvernance], mais actuellement, les conditions ne sont pas réunies pour un tel débat ».
Nombreux sont les Maliens qui déplorent l'absence de développement, malgré une aide occidentale conséquente. Le sentiment général selon lequel la corruption règne dans les hautes sphères de la société a contribué à l'accueil enthousiaste fait au capitaine Amadou Sanogo au lendemain de son coup d'État du 22 mars 2012.
« La véritable question est de savoir si les Maliens vont se rebâtir un système de gouvernance ou s'ils vont revoir leurs objectifs et simplement restaurer l'ancien système. Honnêtement, nous n'avons pas l'impression qu'il existe un réel désir de changement », a dit un diplomate européen qui a souhaité garder l'anonymat.
« À la vérité, le président par intérim, Dioncounda Traoré, ne détient pas tout le pouvoir. M. Sanogo et ses hommes font toujours la loi à Bamako. Le navire malien a toujours deux capitaines », a dit un diplomate américain également sous couvert d'anonymat.
Certains croient cependant en une transition pacifique, ne serait-ce qu'à court terme. « Des difficultés politiques et sécuritaires de taille demeurent, mais la période de transition devrait être maintenue jusqu'aux élections, qui devraient avoir lieu en juillet ou au moins dans des délais raisonnables », a dit M. Yabi.
M. Sanogo et ses irréductibles sympathisants sont toutefois probablement peu disposés à renoncer pour de bon à la politique, a dit un diplomate à IRIN sous réserve de garder l'anonymat. « Il y a le risque posé par les radicaux de l'entourage de M. Sanogo, bien que ce dernier semble les contrôler. Et puis il y a le risque qu'il essaye de se maintenir pour toujours sur la scène politique, en soutenant par exemple un candidat à la présidentielle ».
Élections
L'actuel gouvernement malien n'a pas été élu. Il a été nommé en réponse aux pressions exercées par les organisations régionales et les gouvernements occidentaux après le coup d'État. Son pouvoir est limité et ses partisans tiennent à un gouvernement disposant d'une légitimité plus large et plus forte. Dans le cadre de la feuille de route visant à mettre fin à la période de transition, les autorités intérimaires ont prévu la tenue d'élections au mois de juillet.
Le doute subsiste cependant sur la possibilité d'établir une liste électorale, de délivrer des cartes d'électeur et de mener des campagnes à temps pour que les élections puissent avoir lieu à la date fixée et que le scrutin soit crédible. Certains observateurs doutent également de la participation populaire aux élections, notamment dans le Nord, qui a été occupé pendant neuf mois par des militants islamistes.
« Nous sommes déjà en mars et il n'y a pas encore de campagne. Nous ne savons même pas qui va se présenter. De nombreuses listes d'électeurs ont été détruites, non seulement dans le nord du Mali, mais également dans certaines zones du Sud. Nous ne savons pas encore comment les habitants du Nord vont participer », a dit Peter Tinti, journaliste indépendant au Mali.
« De plus, les élections sont coûteuses. La communauté internationale va devoir s'engager à apporter les fonds nécessaires pour mener une élection libre et juste dans ce pays ébranlé par plusieurs crises. Les délais dépendent donc des ressources que la communauté internationale veut bien allouer aux élections et du degré de priorité que les Maliens eux-mêmes lui accordent. »
M. Tinti affirme que les Maliens sont indifférents aux élections, bien qu'ils se plaignent de leurs difficultés. Selon lui, la population estime que les nouveaux dirigeants ne seront pas différents des précédents, qu'ils accusent d'avoir manqué à leurs obligations.
« Des élections devraient avoir lieu le plus vite possible, mais pas dans n'importe quelle condition », a dit M. Yabi. « Pour que ces élections aient un sens, il faut convaincre la population qu'elle va participer au processus pour sortir de la crise actuelle. Dans ce pays où le taux de participation est généralement faible comparé au reste de la région, il faut que les conditions soient réunies pour que les gens veuillent voter. »
Or, même avec un taux de participation plus élevé, les élections ne vont peut-être pas entraîner le renouvellement des élites politiques tant attendu. « Les élections vont probablement voir s'opposer quelques personnages présents sur la scène politique malienne depuis 20 ans. Il ne faut donc pas s'attendre à de grands changements », a dit Alexis Roy, un chercheur qui a rédigé une thèse de doctorat sur la société malienne.
Réconciliation
Le gouvernement intérimaire a annoncé récemment qu'une Commission dialogue et réconciliation (CDR) allait bientôt être créée pour favoriser les échanges entre les Maliens, identifier les groupes politiques et sociaux à prendre en considération et s'attaquer aux violations de droits dans tout le pays.
« Le problème avec ce genre de commissions ou de conférences, c'est qu'elles peuvent servir à dire tout et son contraire. Va-t-elle être utilisée de manière constructive ou va-t-elle simplement leur servir à dire qu'ils l'ont fait ? Ce n'est pas encore très clair », a dit un diplomate européen qui a préféré garder l'anonymat.
« Un autre problème avec ce genre d'institutions, c'est qu'on ne sait jamais vraiment si les personnes qui ont été nommées pour représenter certains groupes les représentent vraiment », a dit M. Tinti.
Rétablir une certaine unité nationale est essentiel à la réconciliation. Or, certains obstacles demeurent : les Touaregs veulent une plus grande autonomie et le nationalisme dans le Sud peut entraver la réconciliation, car de nombreux habitants du Sud considèrent ceux du Nord comme des étrangers.
« À Bamako, l'opinion publique n'est pas prête pour le dialogue. Lorsque vous parlez de dialogue avec le Nord, ils croient que vous parlez d'impunité et de récompense pour les criminels qui ont pris les armes », a dit M. Roy.
Réforme de l'armée
L'armée malienne a été mise en déroute par une attaque touarègue début 2012. Par la suite, des groupes islamistes liés à Al-Qaïda ont pris la place des Touaregs et occupé de vastes étendues de territoire dans le Nord.
« L'ensemble du secteur de la sécurité nécessite une profonde réforme qui prendra des années. Il faut commencer dès maintenant, car il est très important de trouver une manière de sortir de la crise actuelle », a dit M. Yabi.
Une mission de formation de l'Union européenne a commencé à intervenir auprès de l'armée malienne qui, on peut l'espérer, pourra à terme remplir son rôle avec efficacité. Une mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine et financée par les Nations Unies est également en train d'être mise sur pied pour faciliter le processus politique et sécuritaire.
« À court terme, la présence d'armées étrangères est un facteur de stabilité. L'armée française, les [troupes africaines] et la mission de formation de l'Union européenne protègent les autorités civiles d'une intrusion non désirable de l'armée, qui est toujours majoritairement contrôlée par des putschistes », a dit M. Yabi, d'ICG.
« À moyen et long terme, il faudra bien plus qu'une mission de formation aux objectifs limités pour réellement réformer cette armée. Les problèmes datent de plusieurs années et un programme bien plus ambitieux que celui qui est appliqué actuellement est nécessaire pour reconstruire l'armée », a-t-il ajouté.
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