Projet d’appui à la petite irrigation locale (PAPIL)
La région de Fatick, 613 000 âmes, est située à 155 km de Dakar, la capitale sénégalaise. Belle illustration du combat que mène l’homme contre la nature, les aléas climatiques et environnementaux, le Sénégal a fait le pari – avec la Banque africaine de développement, qui soutient le Projet d’appui à la petite irrigation locale (PAPIL) – de regagner contre la mer des hectares de terres salées, afin de leur rendre leur vocation agricole. Un juste retour des choses, car il fut un temps où l’arachide, culture phare du pays, y était la principale ressource agricole. Mais, les marais salants avaient fini de prendre le dessus au plan économique, avec l’exploitation et la commercialisation du sel. L’envahissement des terres par le sel était entamé.
Au Sénégal, de nombreuses vallées situées sur la côte se trouvent aujourd’hui infestées par l’avancée saline résultant de la baisse des précipitations. On estime à 800 000 ha environ la superficie totale des terres affectées par le sel au Sénégal, dont une fraction importante dans la région de Fatick. Le phénomène récurrent est l’envahissement des côtes basses par la mer lors de fortes marées. La salinisation qui en découle induit, à son tour, une toxicité qui menace les végétaux. Au final, elle conduit à la stérilisation progressive d’importantes superficies de terres. Dans la région, au niveau des îles du Saloum et dans les zones d’estuaire, on assiste également à une dégradation de la mangrove, qui entraîne une érosion des côtes et fragilise les écosystèmes.
Vers l’intérieur des terres, la baisse de la pluviométrie et ses corolaires ont dégradé le couvert végétal et aggravé l’aridification des terres de bas-fonds et vallées, qui constituaient anciennement des sites privilégiés de production agricole.
Mises en place de variétés agricoles plus adaptées
Cette situation oblige les agriculteurs à développer des techniques de rétention de l’eau de ruissellement et à faire appel à des variétés plus adaptées. Pour les accompagner dans leur combat, l’Etat sénégalais, aidé de ses partenaires, a mis en place le Projet d’appui à la petite irrigation locale (PAPIL) à l’orée des années 2000. Objectif : réduire la pauvreté et renforcer la sécurité alimentaire, grâce à la promotion des infrastructures de maîtrise de l’eau et des mesures d’adaptation aux changements climatiques.
C’est en octobre 2003 que la BAD a approuvé le financement de ce projet, qui se déploie sur quatre régions : Fatick, Kédougou (Est), Kolda (Sud) et Tambacounda (Est).
La BAD a d’abord accordé un premier financement, sous la forme d’un prêt du FAD, de 22,2 millions de dollars EU, qui a pris fin en décembre 2011 ; puis elle a octroyé un nouveau prêt, d’un montant de 13 millions de dollars EU, clôturé en décembre 2013. Depuis 2011, la Banque islamique de développement (BID) participe aussi au financement du projet, par un prêt de 14,47 millions de dollars EU.
Un impact sur les populations… et leurs revenus
Les impacts et effets d’appréciation globale du projet par les populations sont en maints endroits perceptibles et relatés de façon spontanée et unanime : sécurité alimentaire améliorée, activités économiques diversifiées, revenus en hausse, région désenclavée, protection et régénération de l’écosystème, dynamique communautaire renforcée, etc.
Les acteurs concernés apprécient tout particulièrement la pertinence et l’originalité de la démarche, avec l’approche participative et la synergie mises en œuvre au niveau régional, outre l’effet catalytique des aménagements sur la production agricole et la mobilité. Avec ces nouveaux aménagements, de réelles perspectives de développement s’offrent en de multiples endroits.
Emergence de pôles de développement autour des sites aménagés
L’expérience du PAPIL a démontré que les sites nouvellement aménagés grâce à la mobilisation de l’eau constituent rapidement de véritables pôles de développement, à partir desquels naissent de multiples activités initiées par les populations locales : riziculture, maraîchage, pêche, élevage, apiculture, etc.
La régénération du milieu naturel (récupération des terres salées, rehaussement des nappes phréatiques, reverdissement naturel des abords, réapparition de l’avifaune, développement des écosystèmes, etc.) qu’induit la rétention d’eau douce et grâce à une approche intégrée à l’échelle des différentes vallées, constitue aussi un intérêt tout spécifique au niveau environnemental.
En fin de projet, le PAPIL aura permis, au total, de construire 58 ouvrages anti-sel, de récupérer 6 983 ha de terres salées et de préserver 11 500 ha de la langue salée, dixit le ministre sénégalais de l’Agriculture, Abdoulaye Baldé, qui répondait à l’Assemblée nationale à la question d’un parlementaire sur la salinisation des terres cultivables.
Les 223 infrastructures socioéconomiques de base réalisées se composent de cases de santé, de salles de classe, d’infrastructures hydrauliques, d’équipements de récolte et de post-récolte et de magasins de stockage. En matière de renforcement de capacités, 11 000 agriculteurs ont été formés.
La mise en œuvre du PAPIL a entraîné l’émergence de pôles de développement autour des sites aménagés, donnant naissance à de nouvelles activités économiques. Elle s’est également accompagnée d’une gestion durable et concertée des ressources naturelles et de l’espace agro-sylvo-pastoral, tenant compte aussi des effets du changement climatique.
La mise en œuvre des activités du Fonds de développement local créé dans le cadre du projet a lui aussi contribué à satisfaire les besoins essentiels des populations en matière d’accès aux services sociaux de base et d’allègement des tâches souvent dévolues aux femmes.
La petite irrigation, réponse adaptée contre la pauvreté
A la lumière des résultats probants du PAPIL, le développement de la petite irrigation à l’échelon local apparaît une réponse adaptée pour lutter contre la pauvreté. La réflexion stratégique, initiée en matière de valorisation des eaux de ruissellement et s’inspirant de l’expérience du PAPIL, devrait déboucher, à terme, sur l’élaboration d’un programme national couvrant l’ensemble des régions du pays.
Le PAPIL gagne d’autres batailles dans l’extrême sud-est du Sénégal
Située à l’extrême sud-est du Sénégal, la région de Kédougou s’étend sur 16 896 km² où vivent quelque 152 134 habitants (chiffre de 2013). La structure démographique révèle une prédominance d’hommes (53 %, contre 47 % de femmes). Comme dans le reste du pays, la population est jeune : les moins de 20 ans représentent, en effet, plus de 50 % de la population. Sur le plan ethnique, les groupes les plus représentés sont les Peulhs et les Mandingues (Malinkés et Diakhankés). On y relève aussi la présence d’ethnies dites minoritaires, formées, pour l’essentiel, de Bassaris, Bédicks et de Coniaguis.
Cette population est pour moitié concentrée dans le département de Kédougou, soit sur une superficie de l’ordre de 36 % de la région, qui compte trois départements. Suivent, en termes de densité de population, les départements de Saraya (36 % de la population totale de Kédougou sur 52 % de sa superficie) et Salémata (14 % sur de 12 % de la superficie de la région).
Un secteur agricole au fort potentiel
Le secteur agricole, si important pour la sécurité alimentaire et l’identité de la région, est au cœur de l’économie régionale. En effet, avec ses ressources hydro-agricoles importantes, Kédougou demeure une région à vocation agricole. Elle jouit d’une pluviométrie abondante, avec une moyenne annuelle de 1 200 mm, et d’un réseau hydrographique dense constitué de deux cours d’eau permanents (la Gambie et la Falémé) et de centaines de rivières et mares. Il y a des terres fertiles, abondantes et faiblement exploitées.
L’agriculture occupe 69 % des ménages, selon le recensement de 2013. On y cultive du maïs, du riz, du sorgho, du fonio, de l’arachide et du coton. On a constaté une augmentation de la production céréalière en 2013, 2014 et 2015, passée de 14 962 à 27 801 tonnes, grâce à l’intervention de programmes et projets agricoles notamment. Le maïs demeure la principale culture, représentant avec 68 % de la production céréalière (18 810 tonnes récoltées en 2012-2013).
Grâce au PAPIL, les emblavures rizicoles, qui sont passées de 300 ha en 2010 à 1 600 ha en 2014 puis à 1 850 ha en 2015, ont produit 900 tonnes en 2010, et 5 100 tonnes en 2014. 6 500 tonnes de riz paddy ont également été récoltés en 2015, dont l’on estime la valeur commerciale à 950 millions de francs CFA au moins.
À cette production rizicole fort appréciée par les acteurs de la région (producteurs, autorités et partenaires), s’ajoute une production maraîchère non des moindres. La production par spéculation varie de 742 kg pour la tomate à 6 535 kg pour l’oignon. Itato, site pilote du projet au bord du fleuve Gambie, est celui qui a enregistré la plus importante production maraîchère commercialisée : 21 688 kg en 2013-2014 sur une superficie exploitée de 3 ha. La valeur commerciale de cette production varie de 408 100 francs CFA pour la tomate à 6,426 millions de francs CFA pour le chou et jusque 3,606 millions de francs CFA pour l’aubergine. Au total, les recettes maraîchères ont atteint 21 187 950 francs CFA en 2013-2014.
Cette importante production rizicole et maraîchère aux performances appréciées des producteurs, a été facilitée par des réalisations qui concourent à améliorer la sécurité alimentaire des populations bénéficiaires, leurs revenus et la circulation des biens et des services, à alléger les travaux domestiques des femmes et à mieux mobiliser l’eau à des fins agropastorales. Parmi ces réalisations, 471 ha ont été aménagés, dont 440 ha de bas-fonds rizicoles et 30 ha de périmètres maraîchers, 21 unités de matériel agricole ont vu le jour (tracteurs, batteuses, décortiqueuses, moulins à céréales, ainsi que 9 ouvrages de retenues d’eau. Grâce à quoi :
un peu plus de 1 million m3 d’eau a été mobilisé pour des activités agricoles de contre-saison ;
1 800 ha de parcelles de riz pluvial ont été valorisés sur un potentiel de bas-fonds d’au moins 5 000 ha ;
4 grandes zones de cultures rizicoles sont devenues accessibles, avec un potentiel d’environ 4 000 ha ;
4 bassins rizicoles et 10 villages de 4 communes ont été désenclavés ;
Les femmes des 11 villages ciblés (chaque village comptant, en moyenne, 500 femmes) ont vu leur charge de travaux domestiques allégée.
Lansana Diaby, Afia Pont Kédougou
« Aujourd’hui, tout ce que j’ai pu acquérir comme richesse, c’est grâce au PAPIL avec la riziculture. Et de tous les projets sur lesquels j’ai eu à travailler (environ 7 projets depuis le début des années 2000), le PAPIL se classe premier, du fait de sa démarche, de son approche et de son accompagnement fécond ».
Samoura Kénioto agriculteur à Kédougou
« Cette année (2015), je n’ai jamais récolté autant de riz sur une superficie de 0,25 ha ; c’est grâce au PAPIL avec son appui pour les intrants et le matériel agricole mis à la disposition des groupements. Tenez, pour 0,25 ha récolté et battu, je suis à 32 sacs de 50 kg, soit 1500 kg de riz paddy. C’est du jamais vu pour moi et l’assurance d’une bonne sécurité alimentaire.»
Ousmane Diallo, agriculteur, Kafory
« Nous n’avons pas les mots pour remercier le PAPIL, ce projet qui a sauvé des vies humaines qui avaient perdu espoir et qui, à un moment donné, se considéraient comme marginalisés parce qu’on mangeait peu et mal. En plus, nous éprouvions des difficultés à nous déplacer et à écouler des produits issus de la récolte au niveau des bas-fonds. Mais aujourd’hui, avec les pistes de désenclavement réalisées par le PAPIL, les ouvrages de rétention d’eau dans les vallées, sans compter les formations reçues et aussi l’appui en intrants et en équipements agricoles, nous sommes émerveillés. L’accès aux services de santé, à l’éducation pour nos enfants, aux informations de manière générale nous est permis et cela nous rend heureux. En tout cas, nous affirmons que si ce projet venait à disparaître, cela risquerait de nous plonger dans le découragement et de freiner brusquement l’élan qu’il a donné dans la région de Kédougou. Cet élan qui continue à attirer plus de femmes et de jeunes pour combattre la faim, l’ignorance et la pauvreté. ».
Contact
Xavier Boulenger, Chief Irrigation Engineer